« Pina Bausch » un cénotaphe d’images vivantes pour la chorégraphe

Depuis près de trente ans Laurent Philippe photographie la danse au plus près des danseurs, avec un sens des compositions chorégraphiques développé dans les séances successives de prises de vues d’un même spectacle et de ses répétitions. Il a publié en fin d’année dernière aux Nouvelles éditions Scala son 4eme livre en collaboration avec Rosita Boisseau. Sobrement titré « Pina Bausch » ils font ensemble le point sur onze pièces majeures de la chorégraphe du Tanzteater de Wuppertal dont nous regrettons la perte en 2009.

Les pièces de Pina Bausch sont abordées chronologiquement avec à chaque analyse une accroche théorique donnant une direction de lecture. Pour Le Sacre du printemps, datant de 1975,Rosita Boisseau propose Danser Parler, thème qu’elle relie à d’autres oeuvres notamment grâce à la riche iconographie du photographe. Café Müller présente les interprètes comme Auteurs de soi insistant sur des portraits plus serrés de leur action en scène. Pour Two cigarettes in the dark, leurs relations sont abordées sous l’égide conflictuelle de la Guérilla.

Pour ce qui concerne la scénographie l’étude de Viktor (1986) permet d’attirer l’attention dans la gestuelle de la chorégraphe Des bras d’abord. Palermo, Palermo en 1989, puis Le laveur de vitres en 1997 insistent sur la primauté du costume avec les thématiques de La vie en robe du soir, puis
Déguisements et délires. En effet les stéréotypes de genre sont souvent mis à mal dans ces spectacles où l’énergie individuelle entre en synergie avec l’ensemble de la troupe et ses mouvements intenses. Ces déplacements orchestrés relèvent du mode de la Revue, terme utilisé pour approcher la singularité de Kontakthof ( 1978) . Ces menées collectives se scénarisent en
lien à différentes cultures étrangères rencontrées lors des Voyages, voyages accomplis Pour les enfants d’hier, d’aujourd’hui et de demain (2002).

Le grand format du livre permet une valorisation des photographies dans une mise en page sobre et très efficace ; l’étude de chaque pièce s’ouvre sur une double page, la plupart constituent des plans généraux qui révèlent les dynamiques de la troupe. Pour la dernière oeuvre un duo , cadré plus serré illustre les rapports de confiance des exécutants. L’une des scènes les plus significatives de Café Müller ouvre aussi l’analyse. Il s’agit de l’errance solitaire nocturne de Pina Bausch elle-même dans le décor vide du café , sa silhouette blanche se détachant sur les imposantes ombres portées. Ce pourrait être une des approches de La maison Pina terme justement utilisé par la critique pour qualifier 1980- Une pièce de Pina Bausch.

A l’opposé de cette intériorité intime Nelken (1982) et son installation d’oeillets marque la transformation de la scène en site de Land Art. C’est aussi cette pratique artistique qu’évoque la couverture du livre qui présente une jeune femme portant dans un sac à dos un jeune arbre. tirée de la dernière oeuvre datant de l’année du décès de l’artiste …Como el Musguito en la Piedra, Ay, Si, Si, Si …. Pour illustrer cette chorégraphie le photographe a retenu plutôt des plans rapprochés des danseurs ce qui correspond bien à leur implication individuelle et collective pour continuer d’assurer l’héritage de cette irremplaçable créatrice et de son univers si particulier mêlant tendresse et violence des rapports humains sur scène comme dans la vie.