Eponym e est un ouvrage publié aux éditions amac, en écho à l’exposition de Béatrice Cussol Attends, présentée à l’automne 2018 à la Chapelle du Genêteil. Pourtant Eponym e plus qu’un catalogue qui permettrait de garder une trace de l’exposition, est un livre précieux sur l’univers de Béatrice Cussol, c’est un ouvrage très dense où l’on pourrait tenter d’entrer par plusieurs portes, toutes pourtant, comme c’est le cas avec les artistes qui nous touchent, aboutissant sur d’autres mondes en expansion, sans jamais rien figer de l’œuvre.
Eponym e a une architecture, dans laquelle on peut aller et venir, dans laquelle il est nécessaire de s’arrêter souvent. Il y a les collages, les aquarelles, les œuvres aux feutres, les sculptures molles, il y a aussi trois textes, un récit poétique de Nathalie Quintane, un article d’Elisabeth Lebovici ainsi qu’un entretien entre Béatrice Cussol et Julie Crenn. Enfin il y a, cachée dans les replis de la couverture, une liste de personnes remerciées par l’artiste et formant une sorte de panthéon où l’institutionnel, se mêle à l’histoire de l’art, du cinéma, des médias, de la littérature…un espace mental et sobrement matérialisé où Flannery O’Connor et Anna Nicole Smith se fréquentent, un espace où chacun pensera aux figures évoquées selon qu’ils les connaissent ou non.
On notera par exemple la présence réjouissante de la cinéaste et romancière Marina de Van, dont le film Dans ma peau résonne au mieux avec les œuvres de Cussol, ces images inquiétantes de dents, présentes de manière filées, parmi ces amours entre femmes, dans les collages de la première partie. Entre ces dents et les aquarelles aux tracés sombres et aux masses délayées, se dégagent d’emblée une forme de douleur, un souci de la viande soumise à la métamorphose, à la torture, des sensations de torsion, d’extraction, d’écrasement, de ruissellement, qui ont tout autant à voir avec l’activité psychique qu’avec le cours des choses matérielles, de la chair soumise aux rapports de force et à la dégradation.
L’univers de Cussol est sinueux, merveilleux, pop et cauchemardesque, peuplées de vulves jaillissantes, coulantes, dans cette contrée sans pénis, cette « vulverie », il est question de doigts, de vide, de colère si l’on reprend quelques mots qui apparaissent ça et là. Si l’œuvre de Cussol est onirique elle est peut-être également utopique, lesbienne utopique, on pense notamment aux Guérillères de Monique Wittig, épopée poétique de 1969, cité en particulier dans l’entretien avec Julie Crenn, comme œuvre fondatrice pour Cussol.
Eponym e est donc un livre important, beau, brûlant, sensible, un ouvrage auquel on reviendra parce qu’il donne envie de faire à son tour quelque chose et de regarder mieux en soi comme au dehors.