« Le monde après la photographie est devenu davantage comme un musée » Robert Smithson
Le primat d’une œuvre artistique est d’influer notre vision du monde. Nous sommes nombreux dans ma génération a avoir considéré autrement l’appareil muséologique après « Le Louvre revisité » de Christian Milovanoff paru en 1986 chez Contrejour. Il y a quatre ans il nous a donné à relire dans une distance esthétique les scènes de rue américaines à travers le genre pictural des « Conversation pieces » (Editions Actes sud). Vingt ans après le voilà de retour au Louvre affrontant les frises assyriennes grâce à la suite du programme « Contrepoint » mis en place par Marie-Laure
Il est tentant de rapprocher sa pratique de la « pittora colta » et de ses dérivés photographiques cultivés ou encore des artistes appropriationnistes comme Sherrie Levine, réunis un moment sous le label d’un « art de la distinction », terme à entendre comme l’adjectif mais aussi comme le verbe qui nous oblige à distinguer modèle et copie. La part fictionnelle et critique engagée ici face à ces bas-reliefs rejoint plutôt Candida Höfer ,présentée précédemment dans le même cadre muséal, et surtout Louise Lawler qui poursuit elle aussi sa photographie comme critique d’art en œuvres.
Deux importants paramètres en action depuis longtemps dans la pratique de Milovanoff font ici encore la différence.Premièrement il a longuement écrit, commenté et enseigné les exigences d’un certain cinéma documentaire dont Frederick Wiseman est le plus grand représentant. Ici cela lui permet de structurer son accrochage dans la salle de la Maquette, aile Sully. Les vingt et une photographies, toutes verticales, restent autonomes, chacune à lire comme autant de séquence singulière à monter dans le déplacement physique du spectateur ou dans le glissement latéral de son regard à partir d’un point central dont chacun définira la distance. Proche du tirage jet d’encre sur papier chiffon de l’atelier Franck Bordas il pourra s’attarder sur la matière de ces anciens bas reliefs polychromes dont le traitement en négatif couleur atteste, par la pose longue, des traces pigmentaires en palimpseste. Plus éloigné des vues réalisées à la chambre 4×5 il retrouvera le rythme intrinsèque et secret de figures masculines où dominent et s’opposent chefs religieux et guerriers. Il pourra s’intéresser à la facture maniérée des gestes, aux attitudes et postures expressives et complexes de mains et de pieds qui mènent ce ballet de pouvoir.
Dans le dispositif muséal ici retravaillé les cartels sont essentiels. Reproduisant leur information sur l’image pour la publication dans Photos Nouvelles, ils situent la latitude et la longitude du lieu originaire des frises à resituer dans deux des pays, enjeux des conflits mondiaux actuels, Iran et Iraq. Là se manifeste le second invariant du projet de Christian Milovanoff, son questionnement idéologique des pouvoirs de l’image. Il en a approché les premières réalisations dans « Les paysages de bureau » de la commande de la DATAR. Il a ensuite réalisé le roman coloré de la marchandises dans l’exposition du Musée de Saint Etienne en 1994 « Le jardin 1948-1968 », relisant l’intrusion du commerce international dans la mémoire individuelle et familiale. D’autres séries encore inédites mettent en perspective journaux et images de presse , sources d’ « Attractions » qui poursuivent avec un réel tact fictionnel cette interrogation politique.
Grâce à ce principe d’accrochage entre image unique et série à recomposer, comme dans la rigueur des cadrages qui exaltent à la faveur de la lumière naturelle la puissance chorégraphiée des corps il nous permet, en tant que spectateur, de demeurer à distance de ces figures hiératiques,de garder notre quant à soi face à cet art de la présence qui pourrait plomber notre regard avant notre corps. Que cette leçon de vigilance esthétique et idéologique soit donnée au cœur d’un des plus grands musées du monde grâce à une pratique photographique interrogeant ses moyens porte un réel espoir sur ce medium.
Le 1er novembre 2007