Cette période stigmatisée par la pandémie, en ce siècle qui commence dans un ralenti idéologique de tous les concepts est tout à fait porteuse de redéfinition identitaire et de relectures esthétiques et artistiques. Un livre accompagnant deux expositions du canadien Chuck Samuels « Devenir la photographie » entre en dialogue avec les deux premières programmations de Christian Caujolle au Château d’Eau de Toulouse, monographies de Catherine Balet et Léo Delafontaine. L’identité plurielle de l’homme des XIX ème et XX ème siècles s’y trouve mise en abîme dans les chefs d’oeuvres de l’histoire de la photographie.
Léo Delafontaine né en 1984 à Rouen se propose de mener une déconstruction de l’histoire du médium à travers des protocoles simples comme la mise en couleur enfantine, la combinaison héritée du modèle musical du mashup, ou la synthèse en collage de livres références. Michel Frizot vient de réunir aux éditions Hazan un certain nombre de ses articles reparcourant l’histoire du huitième art à l’enseigne de L’homme photographique. Dans son introduction il généralise notre rapport à tous avec l’image argentique ou numérique :
« L’espèce humaine est désormais très largement « de culture photographique » C’est cette dépendance que Léo Delafontaine met en avant de façon ludique.
A Toulouse Catherine Balet expose son Regard sur les grands maîtres de l’image à travers ses mises en scène de cet extraordinaire acteur octogénaire Ricardo Martinez Paz. Il incarne les grandes figures de l’histoire photographique permettant à l’auteure comme l’écrit Caujolle de « prendre la nécessaire distance avec les humanités pour nous réjouir de (son) regard, de (ses) inventions et de (ses) facéties. » Sa capacité à incarner les plus grandes icônes nous oblige à vérifier notre connaissance de ces oeuvres dans les écarts qu’il inscrit.
C’est aussi son corps d’homme d’âge mûr que Chuck Samuels jette dans la bataille , nécessité comme le suggérait Pasolini pour toute entreprise artistique. Son entreprise de relecture performative des plus célèbres images des deux siècles précédents a commencé dès 1991 avec Before the camera. La galerie Le Réverbère avait en 2015 exposé ce travail avec sa série Le photographe où il s’approprie les plus célèbres autoportraits, légendés avec la formule D’après(After) suivie du nom de l’auteur original. Dans une perspective freudienne le propos général reste principalement identitaire.
Le titre de l’ouvrage Devenir la photographie revendique l’ouverture générale de cette recherche. Les autoportraits réappropriés sont complétés par les filmogrammes de Before photography où Chuck Samuels incarne différents preneurs d’images célébrés par le cinéma. Pour On Photography ce sont les personnalités de la théorie de l’image, écrivains, critiques qui font l’objet de ses performances transformistes, chaque portrait complété par une citation . La réussite de son travail est de réconcilier ce que Michel Frizot oppose dans la photo traditionnelle « la photofacture (genèse par la lumière) et l’anthropofacture , écart entre les capacités humaines, biométriques et évaluatives. ». Pour finir de revendiquer cette relecture de l’histoire de la photographie c’est un numéro complet de la revue pionnière The complete photographer dont il s’approprie toutes les rubriques en jouant tous les rôles.
La familiarité que nous entretenons avec ces images nous oblige à distinguer selon Michel Frizot le même et le semblable : « Le même est dans les grandes lignes, dans la perpective, dans l’architecture globale de l’image, le semblable est affaire d’écarts, de comparaison de sensations vagues confirmées par l’attention. »
L’intérêt de cette démarche est de ne pas rester seulement citationnelle mais d’aborder l’ensemble du médium dans ses projections mentales comme dans ses finalités sociales, l’identité personnelle étant pensée à l’aune du sentiment d’altérité.