Pour l’action des « femmeuses action #17journées », la journée du vendredi 19 janvier 2007 au femmeuses depuis la participation aux ateliers pour finir par une discussion partagée en soirée. Cet article tente donc de faire partager cette immersion à cette journée, puisqu’en soi cette journée fut l’occasion d’exercices corporels, d’observations et de discussions partagés « exposés ».
Salle et exposition servaient de supports aux exercices et échanges corporels entre nous et entre nous et la réception de ces supports. Ainsi durant cette journée, chacune, chacun, était placé(é) au coeur d’un dispositif de relation, de mise en perspective de son observation, d’une lecture de son voisinage proche et lointain : à côté d’un brin d’herbe et de n’importe quoi dirait Deleuze. Cette référence notifie ici l’apport de la dite french theory de Deleuze, Foucault et Julia Kristeva appropriée par les gender studies aux Etats-Unis, mais également les approches post-féministes augmentées de manifestes, comme celui de Beatriz Preciado avec le contra-sexuel, ou encore, de propos dits d’études postcoloniales via les témoignages, récits et études de femmes issues de l’immigration comme Samira Bellil avec Dans l’enfer des tournantes, Zahia Rahmani France récit d’une enfance, Nacira Guénif-Souilamas Les féministes et le garçon arabe, Irshad Manji Musulmane mais libre. Ces références rapportées convoquent des implications multiples qui se côtoient pour mettre de côté une lecture d’« un » féminisme au profit de « féminismes » plurielles. De lectures post-féministes dont Judith Butler relevait la prise de responsabilité d’un avenir qui « exige une certaine ouverture et l’acceptation d’un état d’ignorance » ou encore la prise en compte de la « place vide du sujet » pour mettre en perspective une identité variable de l’individu, notamment dans une mise en critique d’une dite orientation sexuelle figée.
Nous étudions donc ici cette journée du vendredi 19 janvier sous deux angles : études post-féministes et performativités. La performance fait le lien avec cette dimension artistique post-féministe depuis cet engagement porté par l’acte performatif. Le terme de performance apparaît au début des années 1970 dans un article de H. Hein « Performance as an Aesthetic category » dans Journal of Aesthetics (printemps 1970) et dans un article intitulé « Vito Acconci on activity and performance » (dans Arts and Artists, mai 1970) mais nous pouvons remonter aux Events de Georges Brecht, à Fluxus et aux performances qui suivent entre danse musique et théâtre expérimental notamment avec cyberféminisme que Donna Haraway stipule en tant que manifeste. Dès lors, travailler et continuer de travailler l’acte de performance relève de la mobilisation de prises de paroles critiques.
Aussi cette journée des femmeuses action #17 portait-t-elle sur ce dépliement en plusieurs états de l’« exposition » de ces prises de paroles. Les corps et idées étaient mobilisés par notre participation d’avec un espace parcouru où notre corps était sollicité, déplacé et nos observations et des protocoles de jeux exercés comme des mises en « exposition ». Les actions et relations entre nous étaient des rapports interrogeant l’aspect performatif de l’expérience participative des corps entre perception, corps, espace et temps dont nous pouvons lister une « brève » chronologique :
- Arrivée dans l’espace dit espace de documentation du centre d’art
- Des personnes sont occupées à lire et à visionner divers documents audiovisuels et textuels
- Des livres et textes sont suspendus par une chaîne qui les relie entre eux citer le lien sur femmeuses : Samira Bellil, Judith Butler, Pierre Bourdieu, Hélène Cixous, Simone De Beauvoir, Didier Éribon, Franz Fanon, Michel Foucault, Geneviève Fraisse, Nacira Guénif-Souilamas, .. ; des textes : Gayatri Chakravorti Spivak, Laura Cottingham, Eve Kosofsky Sedwick, Laura Mulvey, Adrian Piper, Beatriz Preciado, Diana Quinby, Martha Rosler, Monique Wittig, Giovanna Zapperri ; des entretiens textes et vidéos : Vito Acconci et Yvonne Rainer, Sylvie Blocher, Martha Rosler,.. ; des ouvrages, catalogues d’expositions et revues : Féminisme, art et histoire de l’art, Women artists, Fémininmasculin, Le corps de l’artiste, Art et féminisme, revue Multitudes « Féminisme, queer, multitudes », Vraiment féminisme et art,..
- Des pinces retiennent chacun de ces documents à consulter
- Des ateliers et cours exercices sont proposés dans la salle d’exposition
- Des oeuvres sont exposées dans cette salle : Vito Acconci Adjustable Wall Bra, Sylvie Blocher La violence c’est le lisse, Ghazel Me, Jacques Hoepffner écoute, Annie Sprinkle et Elizabeth Stephens Breast Cancer Collage Ballet, Aleka Polis Marionetki
- Les propositions sont initiées par les membres des femmeuses (ce jour : Ghyslaine Gau, Pascal Queneau, Jacques Hoepffner, Emmanuelle Cherel, Martha Moore, Cécile Proust)
- Par petits groupes et ensemble, nous prenons contact avec le corps de l’autre, l’espace, puis les oeuvres exposées comprises dans l’environnement de travail
- Pause et visite libre de l’exposition
- Performances de Cécile Proust avec les femmes ont du mal à tenir la distance et celle de Jessica Batut avec Je suis un Samouraï
- Repas
- Discussion commune dans la salle des expositions
Pendant cette journée, le temps et l’espace d’exposition servaient donc l’aire de jeu. Aire de jeu aéré de nos relations à l’espace, à la mobilité du corps. Dans ce contexte, comment voyons-nous « comment notre regard et notre approche sont influencés par ces actions où nous sommes à la fois public et participant » Notre regard semble ainsi se déplacer avec la fluidité des changements. Qu’est-ce que fait émerger cette mobilité du corps-regard « de l’action » la perception que nous avons de nous et de ce qui nous environne ? Il s’agit d’un regard porté alors sur une dynamique de la relation entre mouvement du corps et fixité d’une attention en plusieurs paramètres de lectures : la distance, l’échelle, la focalisation ou non sur des détails. Fluidifier l’exploration c’est effectuer une circulation du regard. Des tentatives émergaient ainsi : vous étiez tour à tour celui qui décrivait ou celui qui tentait une déconcentration de l’autre, par exemple la lecture et description d’une oeuvre étaient perturbées, vous émettiez des actions virales de perturbations de la lecture normée de l’autre, les conditions de lecture étaient donc déplacées. De la violence est lisse de Sylvie Blocher peinte au mur, nous lisions « stliss » depuis un cadrage nouveau fait par des mains. Il s’agit donc bien de déplacements opérés, d’un corps qui se pense. L’« exposition » variable semblait nous y inviter en écho même avec les oeuvres exposées.
Les oeuvres des artistes : Vito Acconci, Sylvie Blocher, Monica Bonvicini, Sylvia Bossu, Audrey Chan, Patty Chang, Lynne Chan, Steven Cohen, Andrea Fraser, Ghazel, Clarisse Hahn, Jacques Hoepffner, Dayna McLeod, Aleka Polis, Martha Rosler, Carole Rossopoulos, Annie Sprinkle et Elizabeth Stephens, Takako Yabuki, étaient réparties dans la salle d’exposition et un bâtiment voisin. Nous retenons la vidéo de Lynne Chan intitulée Demolition Derby projetée en boucle où un mur est attaqué par un bras à l’aide d’une massue. Le mur est pointé comme métaphore de la division et de l’enfermement en classe, genre et frontières à abattre. La vidéo de Ghazel Me est une mise en parallèle de très courtes actions de l’artiste où le tchador est alternativement habitacle, support plastique servant à des actions et frein à la mobilité des mouvements. Le collage visuel et graphique de Annie Sprinkle avec Breast Cancer Collage Ballet mêle échographie et photographies du sein ; le sein comme mamelle plastique dédramatisant la maladie expose avec dérision le corps, l’amour, la mort et l’art en un collage coloré et tragi-comique. Les différentes oeuvres portaient d’ailleurs sur ce décalage burlesque. Il en était ainsi pour la vidéo représentative de Dayna McLeod avec Pleasure Zone. Dans cette vidéo, la notion de clichés de poses pornographiques via des prothèses seins et sexes portées par les différentes protagonistes comme autant d’autodérisions de la représentation des actes sexués des corps lesbiens est mise en avant à partir d’une chorégraphie parodique d’un match sportif.
Le choix des oeuvres proposait donc des formulations comiques ou/et des énonciations critiques, comme la performance de Cécile Proust avec une vestimentaire jouant sur l’idiotie tandis que plusieurs commentaires étaient lus et qu’une pancarte était brandie pour citer le propriétaire respectif du commentaire : Christine Macel, Jean-Marc Bustamante ou Xavier Veilhan. Cette performance citait des extraits du catalogue consacré à Jean-Marc Bustamante dans la collection « la Création contemporaine » et en écho à l’exposition Dionysiac montée par Macel en 2005 avec la re-citation du genre de commentaire prononcé par Bustamante : « Oui, l’homme a besoin de conquérir des territoires, la femme trouve son territoire et elle y reste […] ». A la question donnée soi disant comme fait par Christine Macel à : « pourquoi les femmes ne tiennent pas la distance », cette performance réplique par une distance comique de la situation énoncée par les propos cités. La performance de Jessica Batut avec Je suis un Samouraï portait quant à elle sur la diction d’un texte et d’une mobilité du corps nerveuses. Un état du corps s’érotisait dans une chorégraphie visuellement jouissive de son auteure et portée par une rythmie du texte et l’appui sur des mots, ainsi que la périphérie proche d’un public disposé en cercle tout autour. Dès lors, le public est exposé comme corps circonscrivant la zone de tension érogène de la performance, telle une conquête assouvie en actes et mots sur la place publique et ainsi que pourrait nous le signaler Beatriz Preciado : « écris-toi : il faut que ton corps se fasse entendre … ».