Trois commissaires scientifiques, cinq ans de recherche ont été nécessaires pour réunir plus de 500 oeuvres afin d’élaborer l’ambitieuse exposition « Préhistoire.Une énigme moderne » au centre Georges Pompidou. S’il fallait défendre l’originalité de cette manifestation confrontant oeuvres modernes et préhistoriques on peut rappeler qu’elle ne compte que deux précédents une exposition au MoMA, à New York, en 1937, suivie de celle de l’Institute of Contemporary Arts, de Londres en 1948. Les différents courants artistiques qui y sont représentés, une sélection très cohérente de contemporains, ainsi qu’une scénographie parfaite en font un modèle d’expérimentation muséale.
Pour fonder cette recherche Cécile Debray l’une des commissaires rappelle
« La notion de préhistoire s’est imposée au milieu du XIXe siècle, à peu près au moment où débute l’art moderne. Les origines de l’humanité et celles de l’art moderne ont émergé ensemble, et se sont construites de manière parallèle ». Avec Maria Stavrinaki et Rémi Labrusse ils installent ce rapprochement en mettant en ouverture le dialogue dans la pénombre du crâne de l’homme de Cro-Magnon avec une toile de petit format de Paul Klee Le Temps représentant simplement une horloge. Les curateurs réunissent les grands créateurs de la modernité sous l’influence des formes primitives telle celle de de la Vénus de Lespugue. On en retrouve les courbes anthropomorphes dans de nombreuses oeuvres de Picasso mais aussi dans la sculpture de Jean Arp Coquille formée par une main humaine de 1935 comme un coeur dilaté . Les surréalistes n’échappent pas à ces influences comme le prouve l’ensemble de frottages reproduits en phototypie par Max Ernst pour sa série Histoire Naturelle de 1926. De cette même période des photographies de Silex de la designer Charlotte Perriand complètent les Pierres de Dalmatie de Raoul Ubac. On est heureux de retrouver les Anthropométries d’Yves Klein à proximité d’ aquarelles de Beuys, comme deux modes de corporéité.
Les tenants du land art ne sont pas absents et l’on n’est pas surpris de trouver une installation d’un cercle de pierres de Richard Long. Mais il est plus étonnant à côté d’une vidéo sur la Spiral Jetty de découvrir un collage de Robert Smithson : Sans titre (Combat de dinosaures, sphinx allaitant avec coiffe indienne).Les avant-gardes italiennes sont bien représentées avec un grand dessin de Mario Merz, une sculpture de Giovanni Anselmo ou une reprise de la Crypte de 1994 de Claudio Parmiggianni qui confronte le visiteur aux conditions visuelles d’une découverte archéologique.
Parallèlement en complément des nombreuses pièces préhistoriques il est assez fascinant de découvrir l’immense fresque murale, Grands éléphants, autre animaux et figures humaines, retrouvée par l’ethnologue allemand Leo Frobenius à Mutoko en Rhodésie en 1929.
Mais la partie contemporaine est d’une grande pertinence dans la mesure où elle regroupe des artistes que l’on n’attend pas forcément dans cette thématique et avec des oeuvres d’une réelle originalité ainsi le Modèle d’observatoire de Robert Morris de 1971 dans son dépouillement répond au dialogue établi entre les photographies de Dove Allouche avec Fleur de Gypse et un polyptyque de photogravures de Tacita Dean Quaternary de 2014. Une étonnante de vidéo de Pierre Huyghe Untitled. Human Mask de 2014 réalisée après la catastrophe de Fukushima fait évoluer dans la pénombre d’un appartement un grand singe affublé d’un masque de femme, questionnant la pérennité de notre espèce.
Une interrogation similaire est constituée par la série de photographies de Claes Oldenburg Certified Ray Guns réalisée entre 1961 et 1977 par la récolte en ville d’objets ou de pierres évoquant des armes primitives.
Une grande réussite de cette exposition est le rapprochement de la sculpture de Louise Bourgeois Cumul I de 1968, une réunion de globes oculaires, avec une pièce réalisée pour l’occasion par Miquel Barcelo, sa fresque d’argile sur les verrières du Centre intitulée Le triomphe de la mort. Ces deux oeuvres à elles seules semblent justifier le sous-titre Une histoire de regards et de fascination.
La révélation de cette exposition est sans conteste la française Marguerite Humeau née en 1986 pour ceux qui ont loupé au Palais de Tokyo en 2016 sa monographie FOXP2 – nom du gène dont la mutation a permis l’apparition du langage articulé, à la source de notre humanité. Un très grand espace lui est consacré pour reprendre ses dernières sculptures numériques en bronze moulé ou en pierre travaillée montrées récemment au New Museum de New York sous le titre Birth Canal. Elles se fonde sur une hypothèse para scientifique s’appuyant sur des études d’anthropologues et de paléontologues pour créer ses formes ambiguës, qui hésitent entre cerveaux et figures de Vénus, pour imaginer des femmes chamaniques de différents âges.