Presque René Montagne , l’ethnographie poétique d’un EHPAD

L‘association Arts Pauvres publie le livre « Presque René Montagne », photographies d‘Alexandra Pouzet et textes de Bruno Almosnino suite à travail de deux ans dans un Ehpad de Carjac dans le Lot. La sortie du livre en deux formats de leporello s’accompagne d’une exposition éponyme à la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou de Carjac.

Alexandra Pouzet avait reçu le soutien du CNAP et de Cétavoir sur la jeunesse en France, en résulta une exposition La Carte du tendre . Nous avons eu avec le GRAPh de Carcassonne le plaisir d‘exposer ensuite Points de vue réalisé avec Buno Almosnino. Le duo collabore toujours avec une communauté plus ou moins réduite et met en perspective les confidences de leurs membres avec des éléments de la terre et des objets du quotidien.
Par sa méthode ethno-atistique en lien à un site et à ses occupants ce livre fait suite à Terrain.s qui raconte le geste d’un homme dans son attachement à la pierre, du creusement de la terre à sa réutilisation par la construction.

Leur pratique commune ne pouvait que séduire l‘association loi 1901 Arts Pauvres dont la volonté est de « donner à voir, à lire, à entendre, des humanités peu visibles, peu bruyantes, dont la diversité des arts de faire et de vivre participe aux horizons anthropologiques contemporains. »

Si le titre du livre peut sembler mystérieux malgré son caractère poétique, l’intérêt des deux créateurs pour le minéral se retrouve ici impliqué dans le nom des grottes de Presque , non loin de l‘EHPAD. Redevenu adverbe « presque » en s’ajoutant au nom d’un pensionnaire montre comment la vie peut porter atteinte à leur identité.
« Il fut un temps où René dans l’entrée voulait s’enfuir : je ne suis pas René Montagne, vous confondez, je suis allé frapper à cette chambre, il n’y avait personne , ce n’est pas moi ».

Toutes les photos de la grotte illustrent en métaphore le vieillissement sujet à « la matière du temps » alors que les récits recueillis ont conduit les deux artistes à l’écomusée de Cuzals en recherche d’objets et ustensiles de la tradition paysanne.

Il n’y a que deux portraits dans l’ouvrage : un photomaton de Juliette datant de 1964 et Suzanne sur un petit vélo d’enfant. Les deux ont un regard hors cadre, fuyant ce cadre et le présent. Toutes les présences se concentrent sur des gestes focalisés sur les mains « spectaculaire chorégraphie de gestes soigneux. » Tous ces gestes sauf un sont photographiés en un noir et blanc peu contrasté et plein de douceur. Ce sont gestes d’attention et de partage , illustrations parfaites de cette esthétique du care. Une photo couleur fait se croiser la main d‘une personne âgée dans une chaise roulante et les mains d’une femme, infirmière ou parente ? La légende « Christiane, Céline, Claire, salle commune » trahit la présence à ses côtés de deux autres personnes.

Le troisième corpus, consacré aux objets, témoigne d‘un passé riche d une civilisation qu‘on ne connaît plus ni ne maîtrise. Pour accentuer ce dépaysement plusieurs photos sont constituées d’une sculpture improvisée qui regroupe plusieurs de ces exemplaires singuliers. Leur esthétique rejoint les bricolages intimes de pensionnaires et les sculptures étranges de Noël aux longs titres poétiques à partir de fragments de la nature. Depuis le début de l‘année et pour quatre ans Alexanda Pouzet poursuit son actionqui se prolonge autour des Formes inconscientes paysannes, Un inventaire, une collection.

Le récit se construit au fil du feuilletage du dépliant , recto pour les textes et. verso pour les images. Le livre miniature reprend cette organisation si ce n’est que le texte d’un poème de Bruno est réduit à un mot par mini-page. Grâce à cette double lecture les auteurs nous veulent et nous trouvent à l‘image de Georgette « bouleversée par des grandes histoires et des petits riens ».