Le festival @rt Outsiders qui se tient tout les ans à la MEP présente des artistes et des œuvres qui utilisent ou interrogent les sciences et techniques. Questionner ces sujets n’implique pas forcément de travailler sur l’extrême contemporain, cela permet parfois de découvrir des travaux pionniers, comme cette année les œuvres de Sérvulo Esmeraldo.

Les œuvres présentées à la MEP utilisent l’électricité statique. Le mot statique peut sembler paradoxal pour des œuvres qui reposent sur le mouvement et l’interaction avec le spectateur, on préférera donc le terme d’Excitables, titre générique qu’Esmeraldo donne à l’ensemble de ces œuvres.

Les Excitables présentés sont des « tableaux-boîtes » dont la face, généralement en plexiglas, peut être frottée par le visiteur. L’intérieur est constitué par des éléments légers et mobiles (baguettes, fils, confettis) qui forment des compositions géométriques abstraites. Lorsqu’on frotte la surface des œuvres, celles-ci se chargent d’électricité et mettent en mouvement les éléments, modifiant ainsi, de manière hasardeuse leur composition.

L’exposition accueille des tableaux restaurés pour l’occasion et des objets plus petits, « œuvres de voyage » qui fonctionnent selon le même principe. Toutes ont été crée entre 1967 et le début des années 70. Si cet ensemble est caractéristique de l’art cinétique et optique de cette période, il y occupe une place particulière, non seulement par cette utilisation de l’électricité statique comme moteur de l’œuvre mais surtout par ce que celle-ci implique dans la relation avec le spectateur.

Esmeraldo a exploré pendant plus de 10 ans les possibilités de cette grammaire électrostatique. L’interaction y prend des formes visuelles, sonores, allant de petits formats portables à des environnements complets. Le flux d’électricité statique et ses effets varient en fonction des personnes, des vêtements qu’elles portent, du degré d’humidité de l’air. Dans certains cas, les Excitables agissent ou réagissent sans sollicitation, le simple fait de s’approcher du tableau peut l’activer.

Nombre d’artistes des années soixante et soixante-dix ont posé la question du mouvement, souvent en terme optique ou mécanique. Ils s’inscrivent en cela dans une filiation des avant-garde, celle du cubisme ou plus directement de Duchamp. Dans ces œuvres cinétiques c’est la position et l’œil du spectateur qui sont actifs dans la lecture de l’œuvre. La réponse qu’apporte Sérvulo Esmeraldo active le corps du visiteur. Ce n’est pas un moteur ou un trompe l’œil qui mettent l’œuvre en mouvement mais la présence et l’action directe du spectateur. Là où beaucoup d’œuvres questionnent la technique sur un mode strictement visuel ou sculptural, Esmeraldo, esquisse, avec une parfaite économie de moyen, ce qui sera l’un des enjeux principaux des nouveaux médias.

L’interaction physique avec le spectateur et l’électricité statique qui sert d’interface entre les gestes du spectateur et les réactions de l’œuvres introduisent une dimension ludique, une succession d’actions et de réactions. C’est ce même principe que l’on retrouve dans de nombreuses installations interactives contemporaines où l’appréhension de l’œuvre passe par une compréhension et un apprentissage – on pourrait parler d’apprivoisement – de son principe.

Cette dimension prospective se retrouve dans une autre initiative d’Esmeraldo qui livre au public la méthode de construction de ses œuvres. En 1976, il publie une Méthode pratique et illustrée pour construire un Excitable, précédé d’une notice sur l’électricité statique. Posant, bien avant l’heure la question de la licence libre, Esmeraldo abandonne peu à peu la production de ces œuvres particulières, mais leur laisse ce double statut d’invention et de création.

Si le travail d’Esmeraldo a circulé en France il a eu peu d’échos au Brésil, en partie probablement car le climat plus humide empêche les œuvres d’être activés. Le travail d’Esmeraldo aurait pourtant sa place aux côtés des œuvres de Lygia Clark et d’Abraham Palatnik, souvent citées comme fer de lance de l’art cinétique et optique brésilien. Jean-Luc Soret, commissaire de l’exposition, a découvert les Excitables en 2004 grâce à André Parente. Il est frappé à la fois par leur qualité plastique et par leur fonctionnement, low-tech mais d’une grande efficacité. Il montre deux pièces à l’occasion de Corps Electromagnétiques, l’édition 2006 du festival avant de lui consacrer cette année une exposition personnelle. Reste à réaliser une rétrospective des Excitables dispersés dans des collections privés françaises et internationales. Il sera dés lors possible de rendre à Sérvulo Esmeraldo une place dans ce mouvement de transition qui de l’art cinétique conduit vers le multimédia contemporain.