Le diptyque construit par Christian Bernard s’éclaire par delà la séduction facile de son titre mystérieux dans la mesure où, après « Là ou je vais je suis déjà » ce qui le retient dans l’oxymore « là où je suis n’existe pas » est moins son paradoxe que la mise en relation de deux temps , deux espaces, deux réalités. Toute la force et l’originalité de cette programmation repose sur la mise en synergie de dualités, le curateur parle à juste titre d’appariement comme de son mode de fonctionnement critique.
Avant d’étudier plus précisément leur déroulement scénographique commençons par examiner les grandes tendances de ce choix. La vidéo y est présnete sous la forme simple de la projection y compris dans l’ambitieux projet de Victor Burgin qui problématise l’esprit du lieu, l’ancien hôpital Hôtel Dieu devenu « Hôtel D. » dés lors que la chapelle , désacralisée, résonne des états de voix d’une fiction sonore. On peut aussi apprécier l’humour liquide de Sylvie Defraoui, les hauts lieux couleurs d’un exotisme de pacotille s’y trouvent balayé sur l’écran d’un revers de main. On peut aussi retrouver l’esthétique des ruines chez Cyprien Gaillard ou bien plus convainquante sa variante façon SF d’après catastrophe chez Nicolas Moulin à la Galerie Duplex.
Comme beaucoup d’enseignants en école d’art qui sont aussi curateurs leur familiarité avec l’élaboration du projet au long du cursus les poussent à défendre leurs anciens . C’est ainsi que la manifestation compte beaucoup d’ex-étudiants de l’ Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de la capitale. Même si le casting en est convainquant on peut regretter ce trait de parisianisme. Cela permet cependant la découverte de parcours singuliers.
Ainsi dans ces jeux d’appariemment on peut apprécier au BBB la confrontation dans « Repetita » entre l’abstrait géométrique Alexandre Désirée et les figurations de plateaux de télévision croqués backstage par Grégory Derenne. Dans l’autre espace alternatif de qualité Lieu-Commun autour des « Désordres de la mémoire » les travaux d’Estefania Penofil sur la persistance rétinienne du spectateur sont particulièrement subtils. Ils répondent à l’une des grandes découvertes de ce Printemps, celle de Thu Van Tran qui utilise lettrages, polaroïd, tissus et bois dans des pièces aux titres aussi évocateurs que poétiques des relations entre la France et le pays de ses racines, le Vietnam. « Les monologues de l’Annamite et du Missionnaire » prennent le parti de mises en relation de tissus intimes pour évoquer la violence des corps tandis qu’ « Une graine mi-colon mi-bon » tente l’impossible greffon d’une graine d’hévéa sur une poutre de chêne, n’en restent que les cicatrices.
Un beau dialogue visuel s’établit encore sur les murs du Centre d’Art Contemporain de Colomiers en attente de ses nouveaux locaux dans une construction toujours prometteuse de Rudy Ricciotti. Des dessins encadrés de transformations formelles ou énergétiques d’Abdelkader Benchama entrent en synergie avec les wall drawing et les fictions de collages architecturaux de Chourouk Hriech.
En dehors de ces duos programmés ce sont parfois les artistes eux-mêmes qui mettent en dialogue deux de leurs pratiques, dessin et volume pour Didier Rittener chez Sollertis ou photographie et sculpture qu’Eric Baudard met en scène à son habitude de façon très puissante dans une dramaturgie du voir et du tactile d’une grande sensibilité.
Si les installations de Jim Shaw se trouvent en résonance avec celles de Cosina Von Bonim aux Abattoirs l’aspect faussement domestique de celles-ci s’opposent de façon absolue au baroque mortifère de Berlinde de Bruckeer, carcasse de cheval et restes humains accrochés à une colonne. Minimal et angoissant.
Le plus brillant exercice de scénographie active qui répond aux propositions de John Armleder l’an dernier est une démonstration de la méthode de dialectique critique de Christian Bernard à partir des collections du MAMCO de Genève qui questionne subtilement les habitudes muséales. On appréciera particulièrement la relecture du thème « Suzanne et les vieillards » rejoués ici par le rapprochement de Franck Gertsch et Gabriele di Matteo ou autour de la collection et de l’atelier, celui de Pascal Pinaud et Allan Ruppersberg, ou encore le dialogue un à un d’une nuit étoilée de Thomas Ruff et d’une piste géante pour dés monofaces de Robert Filliou.
Celui-ci peut continuer à dormir tranquille dans les rues de Dusseldorf filmé par Tony Morgan, la relève est assurée dans le dialogue de tels artistes et commissaires.