Des visages agrandis, dévorés de noirs et de blancs radicaux, corps féminins offerts, diaphanes et électriques à la silhouette scandée par la toison ou le tétin, le BAL expose Provoke, revue photographique japonaise publiée entre 1968 et 1969. Au même moment à la galerie Les Filles du Calvaire, Antoine d’Agata expose Atlas. L’esthétique se mêle au politique, envisagé comme une façon de prendre position dans la réalité. « Comment te débrouilles-tu avec la vie ? », c’est la question d’Egar Morin et Jean Rouch à la jeunesse de 1960 dans Chronique d’un été, c’est aussi la question qui pourrait agiter ces deux expositions.
Une revue, trois numéros, Provoke aurait pu être une étincelle brillante et sans avenir, restant un trésor esthétique confidentiel s’échangeant à prix d’or entre collectionneurs nippophiles. Le BAL sort Provoke de son obscurité en la replaçant dans son contexte historique et esthétique. Le titre complet de l’exposition ne ment pas : Provoke. Entre contestation et performance. La photographie au Japon 1960-1975. La première partie de l’exposition présente des livres, des photographies, des vidéos réalisées dans l’urgence de la situation politique. Provoke naît dans l’esprit contestataire de l’après-guerre, le pays change de face à vive allure, l’agriculture, l’urbanisme se métamorphosent, le Japon subit la présence des bases américaines, la guerre du Vietnam scandalise et la jeunesse s’embrase.
Si la photographie est alors employée pour sa portée documentaire et la facilité de sa diffusion, ces images relèvent de partis pris esthétiques radicaux. Le combat politique trouve une forme spécifique touchant parfois à l’abstraction. Sous une vitrine, parmi d’autres documents, se trouve un leporello accueillant des clichés chaotiques, au-delà de toute figuration évidente. L’objet était à l’époque vendu comme un tract pour soutenir une action politique. La photographie est « une arme » peut-on lire dans la seconde moitié de l’exposition, où l’on s’éloigne quelque peu des mutations politiques du Japon des années soixante pour exposer dans leur intégralité les trois numéros de Provoke.
Pourquoi ce lien de la politique à l’esthétique est-il si fort ? En France, on pense à des films : L’Eté, de Marcel Hanoun, ou encore ceux de Guy Debord, et peut-être même Mourir à trente ans de Romain Goupil. Il n’est pas question de doxa, de propagande, d’idéologie, les images associées entre elles portent un écart, une ouverture. On lutte, on résiste, mais l’objet de cette position n’a rien d’évident, clair ou facile. Aujourd’hui, lorsqu’ Antoine d’Agata part en Asie, prend mille drogues, baisent mille femmes, rapportent des images de ses nuits de transes, que fait-il ? Dans l’exposition Atlas à la galerie Les Filles du calvaire, lorsqu’il agence ces photographies comme des petites unités qu’il multiplie jusqu’à l’abstraction, jusqu’à l’invisible, que fait-il ?
Les images de Provoke, celles de Daido Moriyama, comme celles d’Araki, dont on découvre les premiers livres auto-édités réalisés à la photocopieuse, jouxtent des images érotiques à des images de rues, de villes, de manifestations. D’Agata pour Atlas en rassemblant ses différents travaux, confronte lui aussi les maisons de Fukushima aux femmes écartelées dans la jouissance. L’exposition Atlas s’accompagne d’un nouveau livre du même nom, publié aux éditions Textuel. Auparavant, dans les livres Ice, Anticorps ou encore Index, les photographies étaient le plus souvent présentées en pleine page. Antoine d’Agata se tourne vers le cinéma, il a réalisé Aka Ana en 2008, Odysseia en 2013 et présentera Atlas, son nouveau film pendant Paris Photo. Les images sont présentées en série comme des rythmes abstraits sur la surface du papier photographique.
C’est peut-être pour ces liens difficiles entre la politique et l’esthétique, entre la vie et le monde, entre le sexe et les autres que Provoke comme Atlas sont des expositions précieuses qui viennent aussi dire quelque chose des préoccupations contemporaines.