Quand la force gouverne, quand la peur s’installe

A propos de « Fragilité et courage », une intervention de Marie-José Mondzain dans La force de l’art, section

La grande verrière lumineuse du Grand Palais crée un abri confortable et protégé qui offre le remède de la force de l’art à la morosité inquiète ambiante. Dans la grande tradition des expositions universelles, on a essayé de recréer l’atmosphère enthousiaste et admirative de la fin du XIXème siècle. Les spectateurs sont invités à se promener dans la chaleur estivale et à se laisser aller à une fascination contemplative face aux œuvres. L’expérience de l’art est conçue comme cathartique, et l’on voudrait que l’homme fatigué en émerge tonifié. Le propos général de l’exposition est bien là, dans ce souhait de ramener la force au coeur du rassemblement des individus. Chacun pourra se sentir grand au regard de cette architecture joyaux, et renforcer son regard et son tempérament dans le contact avec les œuvres exhibées. L’art s’affirme comme une force pour l’homme désemparé.

Pourtant, les modalités de l’exposition sont elles bien peu solides. Les cimaises sont écrasées par les hauteurs des verrières, les œuvres étouffées par des confrontations peu signifiantes, et profondément esseulées dans cette profusion. L’enjeu qui se joue ici, celui de retrouver la croyance en un avenir collectif par la mise en scène de la force de la créativité en France, s’effondre de lui-même. Le sens est profondément contextuel : les œuvres s’épuisent et les significations se vident lorsqu’elles sont récupérées par ceux qui gouvernent.

« Nous habitons un pays découragé et terrorisé », a soutenu Marie-José Mondzain au sein de cette tentative de mise en scène du contraire. Cette affirmation, préambule à l’intervention qu’elle a faite le 3 juin dernier dans le cadre des activités d’infiltration de Campement Urbain, a résonné un instant dans un recoin de l’espace grandiose du Grand Palais. La terreur s’associe à la force, l’Histoire en regorge d’exemples, car la force est le meilleur rempart pour une société apeurée. C’est ce qu’il se passe sous le fanion de l’art, et sous le prétexte d’une exposition grand public. Il fallait entendre Marie-José Mondzain répéter avec sa grande conviction qu’il y a là un contre-sens terrible dans cette association de la force et de l’art. Au contraire, l’art est fragilité, mais une fragilité constituante, qui fait autorité et nous donne le courage d’être capable, de prendre en main notre pouvoir de commencement. Cet engagement de Marie-José Mondzain, infatigable, prononcé sous la petite tente de Campement Urbain, était comme un cri d’alerte dans la dérive. Un mouvement de parole adressé à tous ceux qui étaient présents, et qu’il aurait fallu inscrire de façon pérenne dans ce lieu de force si pitoyable. Pitoyable et inquiétant à la fois. Marie-José Mondzain est venue accompagnée de Claude Bagoé-Diane, cinéaste, documentariste, et Manuel de Sena, artiste écrivain, qui ont donné à entendre leur engagements d’auteur, affirmant la nécessité à s’emparer de nos capacités à engendrer d’autres possibles, d’autres horizons pour cette société qui est la nôtre. Dans l’espace étroit de Campement Urbain, isolé de l’architecture du Grand Palais, on a pu croire un moment aux enjeux politiques et sociaux de l’art.