Quand la souffrance de l’Histoire fait images

La France tarde toujours à régler ses comptes historiques, d’autant que depuis quelques années des voix des droites extrêmes, déculpabilisées, tentent de nous faire croire que ces retours sur le passé sont inutiles et vains. Toutes les tentatives artistiques pour réveiller ou révéler ces lieux marqués par l’histoire et gagnés par l‘oubli sont donc salutaires. C’est le cas du livre publié par André Frère « Camp de Rivesaltes Lieu de souffrance » réunissant les photographies de Flore et un texte scientifique.

Artiste photographe franco-espagnole née en 1963 Flore se consacre à son travail personnel depuis 2008. Son premier livre Une femme française en Orient la désigne comme voyageuse sur des lieux marqués par l’Histoire. Ce livre regroupe les tirages aux sels d’argents réalisé par l’artiste et viré au sélénium donnant à l’ensemble une teinte nostalgique. De même un autre ouvrage Lointains souvenirs parcourt des paysages colorés à la main, errance en quête des lieux d’enfance de Marguerite Duras.quand Flore a découvert le camp de Rivesaltes p il a réveillé le souvenir de ceux où ses grand-parents étaient passés : elle a décidé de faire des photos avant sa destruction.
Ce travail a ensuite été soutenu par le Conseil Régional . Elle y produit deux séries Loin de l’Espoir tirages noir et blanc aux sels d’argent et Je me souviens de vous tirages pigmentaires d’après Polaroids. Les deux ont été réalisées en collaboration avec l’artiste par Guillaume Geneste et Guillaume Fleureau de La Chambre Noire à Paris. A l’ère du tout numérique il est significatif qu’un travail mémoriel soit ainsi opéré avec des techniques traditionnelles.

C’est le travail de Mathieu Pernot sur les gitans qui avait le premier attiré notre attention sur ce camp. Comme le révèle la préface de Denis Peschanski, Directeur de recherche au CNRS et Président du conseil , scientifique du Mémorial du Camp de Rivesaltes , le lieu tient une place dans l’histoire du XXe siècle très singulière. Installé près de Perpignan sur plus de 600 hectares y ont été retenus successivement des républicains espagnols fuyant la dictature de Franco, puis internés des juifs et tsiganes puis des collaborateurs ou des prisonniers de guerre. A la fin de la guerre d’Algérie y seront logés harkis, et autres rapatriés de la décolonisation, venus de Guinée ou d’Indochine notamment. Enfin jusqu’en 2005, une partie du Camp était un Centre de rétention pour les réfugiés expulsables.

Revenant sur ces lieux en déshérence elle ne souhaite pas s’attacher à telle ou telle communauté, d’où ce sous titre générique essayant de comprendre comment un tel lieu peut être le théâtre sur plusieurs décennies de tant de souffrances. Pour la première série dans un noir et blanc extrêmement contrasté elle rend compte de l’impression profondément angoissante du site dévasté. Revenant à son goût pour les couleurs sensuelles bien adaptées à rendre compte de l’action mémorielle la seconde série tente de redonner un sentiment de vie à ces mêmes ruines.