Quand les 5 sens font oeuvres à partager

Le Musée des Beaux-Arts d’Angers accueille jusqu’au 7 janvier 2024 l’exposition « I’ve got a feeling » ayant pour thème « Les 5 sens dans l’art contemporain ». Grâce à un commissariat de Chloé Godin et Marie Lozon de Cantelmi, conservatrices du patrimoine, elle présente des oeuvres de 35 artistes féminines internationales dont 6 françaises. A l’entrée du Musée on nous incite à écouter ces oeuvres, à les sentir à les éprouver physiquement ou simplement à les toucher, gestes habituellement interdits au sein de l’institution muséale.

Des cartels colorés indiquent comment agir, de la seule vue au toucher, jusqu’à une interaction plus complète avec l’oeuvre comme s’y asseoir ou s’y allonger. Cette exposition post-covid propose une redécouverte de nos sens à travers des oeuvres conçues pour les susciter. 

Si toutes les pratiques artistiques sont représentées deux pièces diffèrent par leur nature , elles relèvent de la mode. La maison Céline prête une robe hommage aux Anthropométries d’Yves Klein. Le seul créateur présent est le styliste Martin Margiela avec sa Wig Jacket, veste d’ange noir en cheveux synthétiques.

Trois oeuvres se réfèrent à la nourriture et donc au goût ; on est heureux de retrouver ici une pionnière en ce domaine Dorothée Selz avec une photo réactivant en 2019 une de ses sculptures du Eat art. Pauline d’Andigné utilise aussi le tirage couleurs pour son triptyque Bittersweet (Doux amer) qui scénarise des Vanités contemporaines trash à partir de déchets d’une fête. Elisabeth Willing installe au sol de longues pailles de sucres acidulés créant un arc en ciel échoué. Avec humour cette pièce de 2023 est légendée Moviprep, nom d’un médicament digestif.

Plusieurs oeuvres sont faites de suspension de matières sensuelles au toucher, l’une des plus intéressantes est tissée par une canadienne d’origine tanzanienne, Kapwani Kipanga , son Porous Portal #1 est fait de sisal, fibre liée à la colonisation de son pays natal. On peut la rapprocher d’une oeuvre d’Eva Jospin Herbes de 2015 qui à l’aide bois et carton créée l’illusion d’un champ herbeux où des perturbations corporelles rappellent les présences des protagonistes du Déjeuner sur l’herbe de Manet .

Une oeuvre Cécile le Talec Stanza , présente une surface plissée aux aspects géologiques , s’y allonger permet de percevoir les vibrations de la Terre, à travers les relevés sismographiques et les spectrogrammes. En complément une exposition monographique lui est consacrée au Musée Jean Lurçat et de la Tapisserie contemporaine Tisser le son, où elle poursuit ses croisements sensoriels entre le langage, la musique, l’écriture et les territoires.

Une autre de ses oeuvres Bruit bleu de 2022 est réalisée avec une peinture thermo-sensible , quand on passe dessus les doigts le bleu outremer vibrant disparaît pour laisser apercevoir un texte en langage morse. Cette préoccupation langagière est partagée par Alice Bidault qui avec des fils de coton et de clous reprend un système Inca de langage par noeuds, elle met au mur une version réalisée ainsi d’un texte de H.D. Thoreau .

Le corps complet fait l’objet de plusieurs interprétations. Comme les pigeons il est persona non grata sur le double banc Back to Back de Nadia Kaabi-Linke hérissé de pics anti-oiseaux. Il devient une statue d’argile prise dans son socle de béton dont le smartphone devient un prolongement prothétique. Trois corps mêlés faits de résine polymère et bois rappellent pour l’indien Shilpa Gupta la nécessité de la liberté d’expression sans un mauvais usage de nos sens de la vue, d el’ouie et de la parole. L’américaine Anya Kielar crée dans des boites des bas reliefs du Charmeur et du Designeur qui sont privés de l’un des sens.

Les deux oeuvres les plus singulières témoignent de la force plastique du corps féminin. L’espagnole Pilae Albaracin organise son Mandala (Arc en ciel) à partir de petites culottes dont on n’identifie pas la nature en vue de loin mais qui nécessite de s’approcher. L’israélienen Sigalit Landau accroche son Black Swann (2020) qui a cristallisé un tutu plongé deux mois dans la Mer morte , le sel manifeste cette mémoire du corps alliée à celle du pays.

Cette double exposition angevine permet de découvrir de nombreuses artistes internationales de différentes générations qui partagent le souci de créer des oeuvres entretenant un autre rapport sensoriel au visiteur qui devient partie prenante sinon acteur de ces expériences plastiques singulières.