Dans le cadre du Labex Arts-H2H de l’Université Paris 8 Michelle Debat a publié en 2017 « Quand l’image agit ! » en co-direction avec Paul-Louis Roubert aux éditions Filigranes. Ce livre fait suite au colloque éponyme tenu au Mac Val. Cette nouvelle approche procède des liens entre l’acte d’image et la pensée de l’image en acte. Universitaires et artistes de différentes disciplines interrogent leur pratique en lien à la corporalité et aux différentes scènes et temporalités de monstration.
Cet essai collectif fait suite à une précédente somme sous la co-direction de Jacinto Lageira publiée en 2014 chez le même éditeur La photographie en Acte(s), dont le sous titre développe différentes actions à l’oeuvre : Répéter – Représenter – Reproduite -Traduire – Transcrire -Transmettre. On voit en quoi ce vocabulaire actif pour l’image peut se référer également au théâtre, à la danse et à leurs scènes. La première appellation du colloque tenue à l’INHA et à la source de ce livre s’appelait justement La photographie entre les arts .
Les artistes intervenants sont nombreux et représentent le meilleur d’une ou deux générations où sont présents des photographes classiques comme Arnaud Claass, des représentants des nouvelles formes documentaires comme Philippe Bazin ou Olivier Menanteau, des plasticiens tels Renaud-Auguste Dormeuil, Tom Drahos, Manuela Marquès, Paul Pouvreau, Jacqueline Salmon ou Patrick Tosani. Dans le lien plus direct au performatif Catherine Poncin révèle la focalisation de son travail autour des personnes , ou plutôt des figurants qu’elle extrait de différentes archives historiques pour leur donner de nouvelles activités au présent de l’oeuvre. On retrouve bien évidemment dans ce domaine d’expérimentation Corinne Mercadier qui développe la continuité de son oeuvre et ses différents supports et méthodes de travail dans la période 2008-2011. Les corps toujours présents depuis ses premiers Polaroïds y restent toujours actifs en d’étonnantes figures performées en lien à des éléments flottants.
En dehors des deux auteurs d’autres critiques sont présents avec de nombreux étudiants chercheurs du Labex qui prolongent en échos théoriques les conférences des artistes. Bénédicte Ramade revient sur le commissariat de son exposition REHAB, l’art de refaire présentée à la Fondation EDF à Paris en 2011, Alexandre Castant poursuit ici ses questionnements entre image et création sonore. L’intervention de Cosimo Chiarelli a le mérite d’évoquer une relation peu étudiée avant lui sur les rapports entre photographie et mime à travers les expérimentations noir et blanc d’Etienne Bertrand Weill, des années 1950 aux années 70.
Le cadre théorique de l’essai Quand l’image agit ! est posé dès le premier chapitre Philosophie et esthétique(s) de l’image en acte par Jacinto Lageira. Son texte Imagination morale et modes d’agentivité. Contribution à une poétique de l’action repose sur les avancées d’Alfred Gell dans son livre L’art et ses agents , une théorie anthropologique (1998) (Editions les Presses du réel 2009) où l’agentivité est considérée comme interaction sociale : « lorsque l’on se demande au nom de quoi crée l’artiste, nous prolongeons inéluctablement cette question par l’action, l’agir, l’activité ou encore l’agentivité des récepteurs pour ainsi dire agis à leur tour par l’oeuvre. » Reprenant le concept de « poétique de l’action » à Paul Ricoeur il en élargit l’action à d’autres situations humaines jusqu’à une esthétique de l’action sociopolitique.
Les mêmes protocoles conceptuels sont élargis et appliqués à L’expérience des arts numériques par Jean-Paul Fourmentraux pour analyser ce qu’il envisage dans leur pratique comme « des images à faire ».
Le second chapitre étudie les Formes et expériences photographiques de l’image agissante. Michelle Débat recense ainsi les expériences les plus significatives en ce domaine en empruntant à Pascal Quignard la métaphore opérante de « bourdonnement biologique des images ». Elle s’attache d’abord à Ugo Mulas faisant le lien entre ses images d’artistes internationaux dans leur atelier et ses célèbres Vérifications. Dans une logique proche elle situe les séries Transformance (1983) et Digital Scores (After Nicéphore Nièpce (1998) d’Andreas Muller Pohle comme expérimentation de l’agir à partir des contraintes technologiques de l’appareil pour constituer des « documents d’activités ». Dans sa série Perpetual Photos Allan McCollum met en évidence une sorte d’inconscient de l’image télévisuelle reproduite de façon fragmentaire en noir et blanc. Un même type de transfert technologique est opéré par Eric Rondepierre dans ses images de la série DSL (Digital Suscriber Line) commencée en 2010 qui traque les dérèglements et accidents visuels subis par les pixels lors de la diffusion d’un film sur ordinateur.
Le dernier chapitre Démarches artistiques et poétiques des agir(s) de l’image voit Claire Bras travailler différentes hypothèses dans le cadre de la pédagogie de la photographie Elle a cette belle formule à partir de l’expression clichée opposant image et magie de la reformuler pour la réactiver en tant que « l’image m’agit » qu’elle développe notamment à partir de la mise en scène de l’oeuvre Dominique Lambert de Stéphanie Solinas. Alain Bernardini revient sur sa propre pratique de représentation négociée des images du travail et de leur mise en espace in situ dans différentes situations urbaines.
Un autre type d’expérience est relaté par la chorégraphe et danseuse Olga de Soto à propos de sa recherche Sur les trace de la Table Verte – Une introduction. Elle a mené une longue recherche autour de la pièce La Table verte de Kurt Jooss(1932). Sous titrée « danse macabre en 8 tableaux et 16 danseurs » elle constitue une satire de la guerre et se révèle prémonitoire de la montée du nazisme. Olga de Soto a produit ce qu’elle appelle une performance documentaire ou un documentaire scénique. Elle avait d’abord expérimenté ce type de réalisations dans sa création histoire(s) au sujet du Jeune homme et la Mort de Roland Petit (1946). Pour ce faire elle avait interviewé des spectateurs de la première du spectacle. Pour La table verte elle opère de même à la fois sur la préparation de l’oeuvre grâce aux archives et à sa réception à travers une mémoire du corps réactivée sur scène.