Quatre piliers de la figuration narrative à Dinard

Dans les années 1960, alors qu’aux Etats Unis triomphent l’abstraction lyrique et gestuelle puis le pop art et en France l’abstraction de l’Ecole de Paris des peintres en Europe vont avoir recours à des représentations figuratives et même narratives. Si contrairement aux Nouveaux Réalistes réunis autour de Pierre Restany ils ne souhaitent pas faire école, ils vont marquer la scène artistique. Cet été le Palais des Arts et du Festival de Dinard expose longuement quatre de ses principaux représentants autour du jeu de mots « Figurez vous … » .

Le critique qui va les donner à voir dans leur approche commune est Gérald Gassiot Talabot avec deux expositions successives en 1964 et 65 Mythologies quotidiennes et Figuration narrative au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris . Pour les démarquer ce courant du pop art trop fasciné par le monde contemporain on parlera ensuite de Figuration critique. Comme l’écrivait un autre critique Pierre Gaudibert : « La peinture n’aurait-elle pas elle aussi le droit de traiter de la violence dans un monde qui prétend à une rationalité technique croissante ».

On peut approcher ce mouvement à partir de ses principales caractéristiques , un fort intérêt pour l’image médiatisée ( presse, publicité, bande dessinée, image cinématographique ), une iconographie préoccupée du social ou du politique et un traitement lisse de la surface en à – plats, tandis que le cadre du tableau est souvent fragmenté. Dans la préface de Bande dessinée et Figuration narrative, présentée au Musée des Arts décoratifs, Gérald Gassiot-Talabot définit cette figuration : « Est narrative toute œuvre plastique qui se réfère à une représentation figurée dans la durée, par son écriture et sa composition, sans qu’il y ait toujours à proprement parler de ‘‘récit » ».

34 artistes issus d’horizons esthétiques et géographiques différents.participent à ce courant dont Adami, Arroyo, Berthelot, Bertini, Erro, Fahlström, Klasen, Monory, Rancillac, Recalcati, Saul, Télémaque…. Le choix de Christophe Pénot , éditeur d’art et commissaire de l’exposition s’est porté après le décès de Velickovic sur Valerio Adami, Erro, Peter Klasen et Gérard Guyomard.

La peinture de Valerio Adami né en 1935 à Bologne se caractérise par une importance du dessin et des aplats colorés cernés de noir. Dans les années 1970 il réalise des portraits de célébrités – James Joyce, Sigmund Freund, Walter Benjamin – puis des paysages et des événements historiques –comme la Révolution française –. Il y intègre des mots-titres peints avec soin qui font référence à la peinture ancienne.Son oeuvre a été commentée par des philosophes comme Jacques Derrida ou Gilles Deleuze.A la fin des années 1980 il reçoit commande de nombreuses peintures murales dans des bâtiments publics.Par la suite, Valerio Adami va diversifier ses sujets, en ayant recours à des thèmes mythologiques occasion de transmettre ses réflexions sur la peinture.

Erro né en 1932 en Islande après des études dans différentes capitales européennes s’installe à Paris en 1958 il est considéré comme le pionnier du collage peint, qu’il compare à l’écriture automatique. Ses sources sont nombreuses : des images ready-made tirées notamment de bandes dessinées, de publicités, de cartes postales et de reproductions d’œuvres d’art issues du monde entier, qu’il archive minutieusement pour nourrir son travail sériel. Représentants politiques, célébrités, super-héros, extraterrestres et guerriers figurent parmi les motifs les plus récurrents des accumulations kaléidoscopiques et souvent monumentales d’Erró. Différentes civilisations et idéologies s’y entrechoquent dans une joie délirante pour mieux capter l’absurdité de nos propagandes contemporaines qui figurent dans l’actualité ou dans les fantasmes populaires.

Peter Klasen né en Allemagne en 1935 pratique la peinture, la photographie et la sculpture en travaillant sur les liens entre le corps et les éléments industriels. Il a mené de nombreuses séries opposant ces deux types de composants “tableaux-rencontres” et “tableaux binaires”. Les corps féminins côtoient des objets de consommation courante (téléphone, disque, appareils sanitaires, appareillages électriques…), des marques de séduction (rouge à lèvres), mais aussi des objets liés à la maladie (thermomètre, stéthoscope, seringue, pilule, lame de rasoir,…).Dans les dernières décennies son univers pictural devient plus violent avec des symboles de l’enfermement et des menaces idéologiques sur le corps.

Gérard Guyomard né en 1936 autodidacte et d’abord restaurateur de tableaux pour le Louvre ou le Prado est le moins connu des quatre. Ses toiles à la construction complexe utilisent la superposition d’objets, l’entremêlement de scènes de toutes tailles, pour suggérer une sensation de volume. Son univers haut en couleurs est riche de diverses anecdotes qui s’intègrent dans les figures principales, obligeant à une lecture démultipliée.

L’exposition qui regroupe cent quarante oeuvres de différentes époques y compris récentes prouve le dynamisme et l’inventivité de ces quatre peintres. La diversité des différents régimes iconiques mis en action, les niveaux de signification abordés : réaliste, fantastique ou imaginaire sont exploités à travers des détournements de la citation à la parodie. Si elles sont inscrites depuis plus de six décennies dans leur époque ces oeuvres continuent de témoigner d’un état du monde qui nous concerne.