« On ne regarde pas assez les collectionneurs de province », c’est par cette phrase extraite d’un article de Roxana Azimi que David Cascaro débute La Liste, ouvrage consacré à la collection d’art de Michel Samuel-Weis. L’essai est le premier à porter un éclairage sur ce vaste ensemble dont le propriétaire entend l’étendre au seul rythme d’une œuvre par artiste, cherchant ainsi à accumuler les noms qui feront peut-être l’histoire de demain.
Marquée par la présence d’artistes célébrés à l’international comme Gilbert&George, Andres Serrano, Nan Goldin, Nabuyoshi Araki, parmi tant d’autres, la collection n’est pas assimilable à une sensibilité esthétique, ni à la recherche exhaustive d’un mouvement ou d’un artiste. Comment Michel Samuel-Weis a-t-il acquis tant d’œuvres sur les hauteurs du Rebberg à Mulhouse ? Comment un collectionneur s’inscrit-il au sein d’un réseau entre artistes, galeristes, centres d’art et foires de renom ? Le collectionneur de province est-il vraiment un archétype susceptible d’être distingué de son homologue parisien ?
Plus qu’un ouvrage de sociologie de l’art, La Liste comporte une forte dimension romanesque. Dis-moi comment tu collectionnes, je te dirai qui tu es. Michel Samuel-Weis est au centre de cette intrigue psychologique, dont la collection d’œuvres d’art semble être un symptôme appelant l’analyse. Pour faire de cet homme, un personnage digne de Balzac ou de Molière, David Cascaro ne s’est pas contenté d’esquisser le caractère du collectionneur à travers ses propos, il rapporte également les paroles de ceux qui le fréquentent pour s’assurer des faits et toucher à plus de vérité sociale et psychologique.
Michel Samuel-Weis est un héritier, il poursuit l’entreprise familiale par sa collection, bien qu’il remise à l’escalier, non sans un certain mépris, les œuvres achetées autrefois par son père.
Pourquoi les huiles et les gravures du père seraient méprisables, si Michel Samuel-Weis se contrefiche de la valeur esthétique des œuvres et semble se dire à plusieurs reprises dépourvu de sensibilité artistique ? Sans doute parce que ces tableaux pourraient faire de lui un homme dépassé, dont le goût serait attaché à la seule peinture moderne. Michel Samuel- Weis, seul contre tous, isolé dans une province rongée par l’obscurantisme des stars de l’art local où la production contemporaine et internationale peinerait à venir, est un esprit curieux qui se concentre sur l’art de son siècle.
Le cynisme ne serait pas loin si David Cascaro n’avait su, notamment par ce jeu des entretiens interposés, insuffler des nuances dans la psyché de son personnage principal. Michel Samuel-Weis ne revend pas les œuvres qu’il achète, en ce sens, il ne spécule pas. L’homme ne collectionne pas pour se soulager de ses charges fiscales, son ambition est intellectuelle et consiste à faire le pari que sa collection une fois arrivée à son terme sera une histoire de l’art contemporain depuis les années soixante-dix, rappelant toutes les mouvances qui auront eu lieu, toutes les figures qui auront compté, en espérant qu’elles compteront encore. Cette dimension du pari se mesure pleinement lorsque Michel Samuel-Weis évoque avec déception Ryuata Amae, dont il a acheté une pièce mais qui plus tard a disparu de la scène artistique.
« Un collectionneur est quelqu’un qui continue d’acheter quand ses murs sont pleins » disait Denyse Durand-Ruel. Si d’autres figures de collectionneurs sont aujourd’hui présentés avec un brin de folie, Antoine de Galbert et Alexandre Donnat en tête, Michel Samuel-Weis n’échappe pas à la règle. Néanmoins sa fantaisie lui est propre et l’éloigne de toute perspective romantique. Michel Samuel-Weis n’est pas touché par les œuvres qu’il achète, il n’est pas foudroyé à la vue d’une toile qu’il acquiert par nécessité affective, son désir passe par de savantes observations, par une consultation quasi scientifique de la présence des artistes au sein de la foire de Bâle où il se rend chaque année depuis 1977. Michel Samuel-Weis ne collectionne pas en artiste, il spécule intellectuellement et pari sur l’histoire, montrant que l’art, au même titre que la fréquentation des tables gastronomiques qu’il affectionne, serait plus que jamais l’apanage d’une bourgeoisie consciente d’elle-même. Comment le galeriste Jocelyn Wolff considère-t-il l’entreprise de Michel Samuel-Weis ? « C’est la collection d’un honnête homme », autant dire d’une figure socialement bien intégrée voire dominante, apparue sous la plume des moralistes d’autrefois.