[Le titre de l’exposition] provient d’un disque du très bon groupe métal « Nasty Savage (Sale sauvage), qui porte aussi un excellent nom. Je ne l’ai pas trouvé sérieux. Peut-être voulaient-ils qu’il le soit, mais je pense que ce titre est un peu dingue (…) J’aime ça quand on le comprend comme un juron, comme une maladie ou comme le désordre. Et cela est très proche de ma définition de ce qu’est mon travail. » Albert Oehlen
Le rythme de cette exposition dont la scénographie est signée par Albert Oehlen lui-même est rapide, les œuvres se répondent les unes aux autres, saturées de couleurs ou sur fond blanc, d’époques différentes, fruit d’une progression, les FM, les « Finger Malerei » de 2008, côtoient un ensemble de peintures de 1980 et 1990 certaines sans titre, sans que la mise en scène proposée ne soit chronologique. Histoire d’une contamination, les techniques du peintre évoluent, et éclate la luminosité d’une pièce unique de 2009 en noir et blanc intitulé « Ol’ Man River » ouvrant l’exposition. REALITE ABSTRAITE présente « la propre histoire de l’abstraction » du peintre allemand, le plus significatif de sa génération.
Dans les années 1980, Albert Oehlen participe à plusieurs expositions et évènements, et s’il expose fréquemment aux côtés des néo-expressionnistes, il se singularise de ses derniers par un questionnement continu de la peinture, au-delà des clivages entre abstraction et figuration.
Les « Finger Malerei » ou peinture avec les doigts, dans sa transcription littérale de 2008, sont une recherche paradoxale d’une « belle peinture ». Il emprunte différentes techniques, notamment à l’Action Painting, mais sa palette de couleurs entre en conflit avec le graphisme rudimentaire des images et des affiches contrecollées sur la toile. Masquées par ses traces de doigts colorées de rose, de bleu, de vert, d’oranger, de traits noirs… les œuvres scintillent presque et l’émotion l’emporte en ouvrant une lisibilité belle. Oehlen utilise les collages dans ses œuvres graphiques, il détourne certaines images, les retranscrit avec un logiciel graphique, les agrandit, les dissimulent à peine sous la peinture, les découpe, les colle. Distorsion de formes d’expression. Traits calligraphiés ou pixellisés, rythme effréné d’une peinture musicale.
« Je ne sais pas vraiment ce que je veux, sauf faire de la peinture que je voudrais voir (…) Je sais que j’aime certaines procédures. Mais c’est aujourd’hui et ça peut changer. Dans les années 1980, je peignais avec des couleurs parce qu’elles étaient là simplement, et les objets avaient des contours noirs parce que c’était stupide et que j’aimais ça. Pendant un temps dans les années 1990, j’ai aimé le « très coloré » et je l’ai peint de manière à ce qu’il ait l’air « très coloré ». Maintenant j’accorde beaucoup d’attention aux couleurs et j’essaie de les manier avec soin. Il y a tout le temps des ordres qui me disent ce qu’il faut faire, mais derrière tout ça il y a ce souhait secret de faire une peinture incroyablement belle » Albert Oehlen, 2009
C’est ce secret que nous partageons, visiteur incertain dans cet univers explosé de couleurs sur fond blanc, entre réalité et abstraction.