« Recalling Viêt Nam » de Julie Vola

« Ne m’oublie pas trop vite » telle est l’émouvante dédicace que rédigea le grand-père de Julie Vola en exergue de son mémoire consacré à ses années vietnamiennes, peu de temps sa mort. Des albums poussiéreux de photographies s’accumulaient depuis des décennies. Fascinée par cette mythologie familiale qui a bercé toute son enfance, hantée par la mémoire de son aïeul, la jeune photographe prit la décision cette décennie passée de séjourner pendant trois mois au Vietnam en repérage, qui allaient finalement se prolonger pendant plus de 8 ans à Hanoi, qu’elle quitte enfin pour revenir vivre à Marseille… Elle a voulu se « confronter à la réalité de ce pays tant rêvé ».

De retour en France, Julie Vola expose aujourd’hui dans la cité phocéenne les photos qu’elle a réalisées, sillonnant le plus souvent à moto l’ex-Indochine, à l’aide de son appareil Holga entièrement en plastique, amateur, fabriqué à Hong-Kong, rendu célèbre par l’américaine Nancy Rexroth qui a surnomme un boîtier proche, le Diana, résolument « non sérieux », sa « machine à poésie » dès les années 1970 (Cf. Son livre Iowa qui vient d’être réédité). Portraits en noir et blanc de sa mère alternent avec paysages et architectures vernaculaires de l’ Ohio où elle a grandi.

C’est bien sous les auspices de ce travail onirique de remémoration du passé que se place le travail de Julie, substituant la couleur délavée au noir et blanc : l’optique de médiocre qualité génère un vignettage (bords assombris et flou progressif), suggérant un rétrécissement intimiste de la vision, et introduit une douceur flottante de l’image. Ici rien de saillant, les scènes semblent suspendues dans une intemporalité picturale qui évoque toute une tradition romantique du paysage. Peu de personnages habitent les lents plans séquences de triptyques très aquatiques réalisés récemment, comme les vues isolées. Peu de constructions modernes. L’ex-Indochine de Julie Vola est la plus souvent lépreuse, décrépite. Ruines et monuments de la colonisation à l’abandon sont les sujets des vues individuelles comme des surimpression partielles.

C’est toute « une mythologie intime du paysage », pour reprendre les termes de l’auteure, qui se déploie sous nos yeux, avec dans les triptyques l’impression que nous est donné à voir une subtile sédimentation de la mémoire. Toute mémoire est un travail de réinvention, de reconstruction et toute objectivité est par conséquent bannie des clichés de l’artiste au profit d’une subjectivité revendiquée. Tout sentimentalisme et exotisme sont aussi exclus et le voyage intérieur auquel nous sommes conviés se décline dans un flou des plus universels. Certes des signes distinctifs du Vietnam, pagodes, dragons légendaires sont bien indentifiables, mais tel n’est pas l’essentiel du propos… Dans le droite lignée de la série « In the eye on the beholder » réalisée la décennie précédente avec le même appareil-jouet, Julie Vola nous invite à projeter notre propre subjectivité dans ces vues doucement intemporelles.