Exposition en hommage à Georges Perec au Musée des Beaux-Arts de Nantes par Jean-Pierre Salgas (Commissaire) et Philippe Renaud (scénographe). Louable dans son intention, le projet échoue autant par la maladresse du procédé qu’en raison d’une méconnaissance profonde de Perec et de son oeuvre.
L’œuvre de Perec ou la pensée complexe… Saisissant l’occasion du trentième anniversaire de la publication de La Vie mode d’emploi, pour proposer « Regarde de tous tes yeux, regarde », soit une lecture de l’art contemporain de ces quarante dernières années à travers le filtre perecquien, le projet de cette exposition se heurte, néanmoins, à la difficulté de concevoir une taxinomie fidèle à l’œuvre de cet écrivain de l’après-guerre. Faut-il encore le rappeler ? Georges Perec est un homme dont tout le programme (énoncé dans Partisans en 1962-1963, avant Les Choses donc, et consacré à une critique de « gauche » du Nouveau Roman adossée au livre lazaréen de Robert Antelme L’Espèce humaine) est né d’une expérience traumatique du sujet et de l’exploration des formes ayant placé l’Histoire (sa « grande Hache »…) et Auswitsch, au premier plan. Mais Perec est aussi le prototype rarissime, en son temps, de l’écrivain qui a rejeté le préjugé cyniquement cultivé d’une doxa prétendant à l’impossibilité d’écrire après la Shoah. C’est en cela que Perec est un homme de style, quoiqu’en ait pu dire Roland Barthes. Mais revenons à cette œuvre fondatrice : La Vie mode d’emploi. Elle est au carrefour de nombreuses influences. Celles-ci forment un puzzle, conçu à la fois comme métaphore et comme structure de l’ouvrage, permettant l’emboîtement des parties les unes dans les autres, à l’image des différentes existences qui peuplent les appartements de l’immeuble du 11 de la rue Simon-Crubellier.
La structure du récit incite le lecteur à devenir, à l’instar d’un sociologue, « un déchiffreur de signes » ou à s’engager dans une contemplation passive d’un « moi » autobiographique. Tout dépend alors du parcours entamé. Mais le danger existe de se réfugier dans ce que Hegel appelait « le royaume serein des apparences amicales », un royaume dont chaque case est remplie dès lors qu’elle a été préalablement dessinée. C’est précisément dans ce piège que les auteurs de cette exposition sont tombés. Significative est la classification retenue : le quotidien, la règle du jeu, l’autobiographie, le romanesque. Chaque thème est soigneusement étiqueté par des marquages au sol et illustré par des œuvres empruntées à des artistes de renom sans que l’on sache comment le passage se justifie de l’un à l’autre. Une grande confusion en résulte : le visiteur ne sait s’il est passé d’un « tout est politique » à un plus consensuel « tout est culturel » ou, au final – et passablement énervé – à un « tout se vaut » où Christian Boltanski se trouve confronté à Boulatov, Bernard Rancillac, Gerhrad Richter, Sol LeWitt ou Cindy Sherman…. Est-ce là une nouvelle règle du jeu ? Ou la grande illusion d’une possible communion entre chacun de ces artistes et l’œuvre même de Perec dans un agencement aussi malheureux qu’improbable ? Déception.
L’exposition a lieu au Musée des Beaux-Arts de Nantes (10, rue Georges Clémenceau – 44000 Nantes) du 27 juin au 12 octobre 2008, de 10 h à 18 h, tous les jours sauf le mardi.