Les œuvres récentes de Régine Schumann sont exposées à la galerie Nery Mariño (Paris) jusqu’au 21 novembre 2015. C’est la première exposition personnelle en France de cette artiste née en 1961. Elle ne réside pourtant pas très loin, à Cologne, et ses œuvres ont été exposées partout dans le monde. Le visiteur informé avait pu apercevoir quelques pièces sur le stand d’une galerie allemande à la FIAC. L’une des caractéristiques principales des productions de cette artiste est l’utilisation de couleurs et de matériaux fluorescents ; on sait que ceux-ci réagissent aux rayons ultraviolets de la lumière du jour et mieux encore à l’éclairage, dit lumière noire, issu de tubes UV fluorescents ou de LED disposés dans les salles d’exposition obscurcies.
Régine Schumann s’est fait connaître par des productions occupant les espaces, murs et sols, des musées, des centres d’art et des galeries d’exposition. Pour ces installations de grandes dimensions elle utilisait des textiles tendus, des tressages de tubes de plastique et des adhésifs collés au sol. L’ensemble de l’espace dans lequel évoluaient les spectateurs était transformé par les lumières réfléchies émanant de vastes surfaces colorées. Longtemps l’introduction industrielle de la fluorescence dans des matériaux et des tissus s’est fait essentiellement par des produits synthétiques. Cela a très tôt favorisé l’intérêt de notre artiste pour les matériaux contemporains déjà colorés dans la masse et renvoyant de la couleur-lumière sous l’effet des éclairages naturels et artificiels (lampes ultra violette).
Dans la présente exposition à la galerie Nery Mariño sont présentées des boîtes acryliques translucides à la fluorescence persistante. Ce sont des volumes cubiques ou parallélépipédiques dont les surfaces sont plus ou moins transparentes et de couleurs différentes. Le spectateur, en tournant autour de chacune des pièces, se rend compte de la transformation très subtile des couleurs de celles-ci. Il est intéressant de faire l’expérience de la perception de ces œuvres sous les deux lumières : celle du jour et celle de la lumière ultraviolette. Les perceptions des volumes et des teintes varient. Elles sont plus subtiles sous le rayonnement solaire, plus intenses sous l’effet de la lumière noire. Dans le premier cas, les reflets des plaques de plexiglas se mélangent renvoyant, à chaque léger déplacement, de multiples variations de teintes irisées. Les extrémités des plaques formant les arêtes du cube se chargent d’une couleur plus intense créant une scansion rythmique dans le suivi du déplacement visuel. Le discernement des teintes des arêtes est souvent plus complexe ; la distinction des reflets colorés est rendue ténue du fait de la taille en biseau de certaines plaques.
Sous le rayonnement des lampes ultraviolettes les contrastes sont amplifiés. Le spectateur a alors l’impression que chacun des volumes est éclairé de l’intérieur. Des couleurs mêmes saturées, comme le rouge du petit cube Color satin otterndorf, 2015, émane une lumière qui rayonne dans l’environnement et aussi vers le regardeur. Le propre des peintures et matériaux fluorescents est de renvoyer plus de lumière qu’ils n’en reçoivent, ce qui donne l’impression visuelle d’une luminosité intérieure. Ce phénomène intrigue d’abord, il participe ensuite au plaisir de la découverte de la singularité de l’expérience. La plupart du temps les couleurs que nous voyons sont des couleurs réfléchies. Une surface verte absorbe tous les rayonnements, le vert seul est renvoyé. Il en va autrement avec les couleurs fluorescentes. La fluorescence n’est pas une « réflection » des rayons de la lampe dite ultraviolette. La couleur fluorescente est produite par le corps lui-même ou la spécificité de la surface. Elle dépend de la structure physique et de la nature chimique de l’objet. Parvenant sur celui-ci, les ondes courtes du rayonnement ultraviolet déplace les électrons. Ce déplacement provoque instantanément une libération de l’énergie électrique et magnétique qui se traduit par un rayon de lumière décelable à l’œil. Le propre de l’art est de rendre esthétiques certains phénomènes physiques.
Une des caractéristiques des œuvres de Régine Schumann, il faut en prendre connaissance réellement. Les photographies ne peuvent donner qu’un pâle aperçu d’un temps fixe de la perception de l’objet alors que précisément celui vit de la conjonction des sensations lumineuses, spatiales et kinesthésiques. Un certain nombre d’artistes utilisent les couleurs fluorescentes pour la force de leur impact comme cela se passe dans les annonces publicitaires. Ce récent travail de Régine Schumann recherche tout l’inverse : si certaines couleurs des plaques de plexiglas ont une luminosité intense d’autres sont tout en subtilités. Nous sommes là devant des objets d’apparence lisse et froide et pourtant nous percevons de délicates nuances et des glissements progressifs de couleurs qui aiguisent notre plaisir.
Bien qu’utilisant le plexiglas, ce matériau sans qualité tactile, travaillé industriellement pour obtenir un rendu impeccable, Régine Schuman parvient à nous mettre en présence d’objets extrêmement sensibles. Cela est dû aux mélanges de couleurs et aux multiples reflets qu’elle parvient à générer par l’association de plaques aux qualités spécifiques. La face interne de certaines plaques est striée, augmentant ainsi la dispersion lumineuse.
Après un temps dans l’exposition l’esprit du regardeur s’ouvre vers des rêveries poétiques. Celles-ci le concernent d’autant plus que, face à certains volumes, un effet miroir se produit. Des fragments de corps et visages, les vôtres mais aussi ceux des autres spectateurs, sont réintroduits dans l’œuvre. L’environnement, modifié par les lumières et les couleurs réfléchies, se reflète également. Sous lumière ultraviolette il y a création d’un espace irradié autour des surfaces de couleur fluorescente. Le spectateur perçoit autour de celles-ci une zone atmosphérique chargée de couleur qui s’oppose à la part sombre de l’environnement. S’installe ainsi dans l’espace de l’exposition un jeu interactif entre les œuvres, la lumière, les reflets internes à chaque pièce et les couleurs réfléchies sur les murs et le sol de la galerie.
Ce chromatisme particulier existe pour être vu, pas pour être dit. Il s’agit d’impressionner de manière forte et successive le regard afin d’éviter une rapide réappropriation par le langage. Le trouble, face aux subtils accords de couleurs, provient de la dépossession soudaine des possibilités de formulation langagière. Ce qui manque ce n’est pas l’émotion mais les mots pour la dire. Toutes ces impressions conjuguées viennent nourrir la réflexion du regardeur. Celui-ci sort apaisé de l’exposition. Quoi demander de plus ?