Rencontre avec Aurore-Caroline Marty

Linoléum, mousse en polyuréthane, bananes en plastiques, tissus, bois, plâtre, frites de piscine et cotillons brillants, les pièces d’Aurore Caroline Marty se situent entre pop et géométrie. La légèreté apparente est de mise, on se rit de cette fête éternelle, des cotillons tapageurs aux dorures fallacieuses qui nous emportent mais laissent l’amertume sur les lèvres. Césaréa, Gala, Vénus, Apollo, les titres des pièces indiquent la disparition des muses et divinités d’autrefois. Suite à une résidence à Moly-Sabata, une installation d’Aurore-Caroline Marty, intitulée « Alcools », est actuellement présentée au sein de l’exposition « Whisky et tabou », dont le commissariat est assuré par Joël Riff, au musée Estrine, à Saint- Rémy de Provence.

Florence Andoka Alcools, Whisky et tabou, y a-t-il un lien ? Comment est née cette collaboration évidente avec les autres artistes ?

Aurore-Caroline Marty Il y a quelques mois, Joël Riff m’a invitée à participer à l’exposition Whisky et Tabou, une exposition collective qui se jouait au musée Estrine avec 8 autres artistes. Cette exposition faisait suite à une résidence à Moly Sabata ; c’est lors de cette résidence que j’ai pu concevoir et construire mes pièces, c’est là où l’invitation de Joël était orientée, j’avais carte blanche pour une installation qui lie toutes les pièces entre elle, j’étais le liant et j’ai adoré cette démarche. Je n’ai pas créé en fonction des autres, mais avec la connaissance des autres, c’était comme une sorte de collaboration aveugle, j’ai « utilisé » les oeuvres des autres artistes comme accessoires de mes sculptures, comme j’aurais pu prendre un bouquet de fleurs en plastique, rien de péjoratif la dedans, bien au contraire…Je considère cette pièce comme une grande installation composée de volumes qui peuvent très bien exister de façons autonomes, une sorte de corpus, d’où le titre Alcools. Alcools est le titre d’un recueil d’Apollinaire ; poète de l’époque d’Albert Gleize, précurseur du surréalisme, tenté par le cubisme…ce titre sonnait donc comme une évidence. Pour ce qui est du titre de l’exposition, Whisky et Tabou, ce sont les noms des deux chiens des Gleizes, puisqu’Albert Gleizes a été le fondateur d’une communauté d’artistes à Moly-Sabata ainsi qu’à Saint-Rémy de Provence.

FA En découvrant l’une de vos pièce on a toujours l’impression de pénétrer un environnement qui tient autant de la sculpture, que de l’architecture, mais aussi du récit d’objets. Est-il juste de parler d’installation ?

AC M Complètement juste. Il m’arrive aussi de parler de décor. Ce sont des sculptures inspirées entre autre de l’architecture agrémentées d’objets, ce sont des agencements de volumes, des compositions, des restitutions de monde.

FA Vous construisez beaucoup d’éléments apparaissant dans vos pièces. Comment se joue le rapport entre les volumes sculpturaux que vous élaborez et les accessoires manufacturés que vous chinez ?

AC M Ce sont des équations, des questions, des constats, et des réponses. Je construis des volumes en fonction des objets chinés, ou je pioche des objets dans ma « kistchothèque » qui sont le complément d’un volume qui a été construit. C’est donc l’addition qu’il fallait trouver pour obtenir le résultat que je veux ; c’est comme la fabrication d’un parfum, chaque élément est indispensable pour la fameuse restitution d’un monde.

FA Comment choisissez-vous ces objets manufacturés et ces matériaux ?

AC M C’est une rencontre, une intuition, parfois je sais exactement ce que va devenir cet objet ou accessoires, d’autres fois, il rejoint ma collection, et je l’utiliserai un jour, peut être jamais. Une intuition n’est pas raisonnée donc ça ne s’explique pas ; ça peut être la couleur, la matière, la connotation de l’objet. Si c’est kitsch, ça brille, c’est bien parti ; le mauvais goût (générationnel certes), est une base. Ne rigolez pas mais mes choix sont scientifiques : moins + moins = plus. De la même manière, je trouve les matériaux un peu partout, autant dans les magasins de bricolage et de construction que dans les magasins de sport ; chez Décathlon, on trouve des matériaux fascinants.

FA Césaréa, Gala, Venus, Brahmâ, les titres de vos œuvres sont souvent évocateurs de mythes ou d’autres civilisations. Quelle est la dimension fictionnelle de votre travail ?

AC M Je parlais tout à l’heure de décor, je crois que ça évoque donc beaucoup de choses et que la réponse est là.

FA Qu’est-ce qui vous inspire ces formes géométriques, ces couleurs souvent acidulées et lumineuses ? Avez-vous des références spécifiques au sein de l’histoire de l’art ?

AC M Pour les formes géométriques, ça doit être mon côté rigide, strict, je ne plaisante pas avec la forme alors oui, je mets tout dans la couleur pour le décalage. Plus sérieusement je puise mes formes dans le quotidien, un détail de portail, un logo, une architecture, un bibelot…clairement guidé par mon amour pour l’art déco, le brutalisme…l’ordre…Je casse d’autant plus cette rigidité avec les objets kitsch, accessoires loufoques, ou matériaux qui vont se combiner à ces formes. Sans parler de références spécifiques, je suis une amoureuse du surréalisme, de Dali, de Magritte, de De Chirico, pour les contemporains je pourrai citer Phillip King, et bien sûr Marc Camille Chaimowicz pour qui j’ai travaillé, et qui a aussi malgré lui et malgré moi influencer mon travail.

FA Comment chaque pièce se construit en fonction d’un lieu d’exposition ?

AC M Je n’ai pas le sentiment de faire des pièces In Situ, mais il est vrai que le lieu peut aussi parfois influencer sur les formes et/ou les couleurs. Je n’ai jamais encore exposé dans un white cube, et c’est un (heureux) hasard que mes lieux d’expositions soient très forts architecturalement (châteaux / usine / abbaye…) j’en tiens forcement compte malgré moi.