Le marché a depuis quelques années redéfini ce qu’est un livre d’artiste. Il a produit, avec le temps, une cote qui rend inabordable la plupart des éditions historiques, y compris quand ces éditions furent conçues comme des objets peu luxueux, produites en nombre et diffusées à des prix abordables. S’il s’agit là d’une loi de marché, celle-ci vient cependant contaminer jusqu’à l’édition : On voit certains éditeurs changer la couverture d’un livre pour sa seconde impression. Si le procédé est amusant, il n’est pas dénué d’une arrière-pensée spéculative et fétichiste, en distinguant plastiquement, mais artificiellement, la première édition des suivantes.
À rebours de cette sanctification du marché, les éditions Zedele ont inauguré une collection intitulé Reprint. La collection est pilotée par deux spécialistes du livre d’artiste, Anne Moeglin-Delcroix et Clive Phillpot, et propose des rééditions de livres d’artiste, depuis longtemps épuisés et inaccessibles. La première qualité de cette collection est de donner accès à des livres historiques, qu’il est désormais possible de manipuler à des fins d’étude ou de simple plaisir. Mais elle soulève également des enjeux théoriques importants et vient questionner la nature même du livre d’artiste. Un livre d’artiste – y compris un livre historique – peut-il être réédité comme un roman ? Et quel lien sa rareté entretient-elle avec sa valeur ?
Bien que le livre d’artiste contemporain soit souvent un objet à tirage limité qui dépasse rarement les 500 exemplaires, il faut garder à l’esprit que cela est moins une volonté de rareté qu’une double contrainte économique. D’un côté les budgets permettent rarement de grands tirages, de l’autre, le marché pour un livre d’artiste est très restreint au moment de sa parution. Certes, rien n’empêche l’artiste de réaliser, deux ou trois réimpressions ; ce qu’a d’ailleurs fait Ed Ruscha, avec certains de ses livres des années 60. Mais ce n’est souvent qu’avec le temps que les livres acquièrent un public et donc une valeur commerciale, généralement sur un second marché. Bien souvent donc la rareté du livre est dû à une fétichisation à plusieurs niveaux, fétiche de l’objet lui-même, fétiche de son aura historique et fétiche de sa rareté. Or, de ces trois aspects, seul le premier concerne réellement le livre.
La seconde qualité des livres de la collection Reprint, et peut-être la plus importante, est de revenir à l’objet lui-même. Ainsi la réédition de Wit-White d’Herman de Vries, se présente comme un subtil travail de mise en valeur de l’objet, sachant que Wit-White qui représente un point nodal dans le travail d’Herman de Vries est un livre entièrement blanc. Un bandeau, repris de l’édition précédente, porte une introduction de l’artiste et une carte glissée dans le livre propose quelques éléments de critique. De la sorte, l’appareil dialectique et critique reste circonscris aux seuils du livre – pour reprendre le terme de Gérard Genette – et le livre même reste le centre du dispositif.
Green as well as blue as well as red de Lawrence Weiner se présente comme Wit-White sous une forme qui réplique celle de sa précédente édition. Le livre porte cette fois le colophon de Zedele, mais le texte critique est encore imprimé sur un feuillet indépendant, glissé dans le livre. On pourrait d’ailleurs presque parler de notice et, ce faisant, souligner que l’on évite, dans ce travail de réédition, l’écueil du fac-simile qui crée toujours une distance, un effet de simulacre. Avec finesse et justesse, les éditions Zedele rendent à nouveau visible et lisible un répertoire classique, sans la patine, la poussière et les prix excessifs qui distinguent les « first print mint condition ». Comme une réponse intelligente à l’évolution du marché, les livres publiés s’adressent aux amateurs plutôt qu’aux spéculateurs, ceux-ci apprécieront.
http://www.editions-zedele.net/