Puisant dans les collections du centre Georges Pompidou, Frédéric Paul revient sur le mouvement d’origine italienne de l’arte povera essentiellement actif de 1967 à 1989 même si les créateurs qui l’animent poursuivent aujourd’hui de façon plus individuelle leur œuvre. Le critique transalpin associé à sa naissance, Germano Celant, né en 1940, en résumait ainsi l’esprit : « produire des œuvres immédiatement intelligibles grâce au « caractère empirique et non spéculatif du matériau ». La manifestation trouve son prolongement dans le champ de la musique, du design, de l’architecture, du théâtre, de la performance et du cinéma expérimental.
Dans ce milieu des années 1960, le principal de la création internationale vient des Etats Unis où règne le minimalisme. En cette fin de période moderne le milieu artistique reste convaincu que l’art doit se faire avec des écoles ou du moins des courants. En 1966
à la galerie Sperone de Turin, l’exposition Arte Abitabile (« Art habitable »), se veut une réponse au courant américain, en revendiquant un même rejet de la société de consommation. On y trouve Piero Gilardi, Michelangelo Pistoletto, Alighiero Boetti et Giovanni Anselmo. L’année suivante le critique Germano Celant réunit à la galerie Bertesco de Gênes ces mêmes artistes et ceux qui vont constituer les principaux acteurs de l’arte povera. Il en défend le principe et revendique l’intitulé dans ses Notes pour une guérilla :
« Le choix d’une expression libre engendre un art pauvre, lié à la contingence, à l’événement, au présent, à la conception anthropologique, à l’homme « réel » ».
Le courant trouve son caractère international avec la participation en 1969
à l’exposition d’ Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne : Quand les attitudes deviennent forme qui rappelle que c’est aussi l’action qui peut devenir œuvre. Il est intéressant de noter que l’intérêt commun des deux critiques se révèle en 2013 quand Celant organise à la Fondation Prada , dont il est le directeur, en collaboration avec l’architecte Rem Koolhaas et le plasticien Thomas Demand, « When Attitudes Become Form », remake de la célèbre exposition.
Si le mouvement s’est fait connaître par la simplicité des matériaux, leur rapport privilégié à la nature, on peut en voir aussi la manifestation dans son prolongement de1973 à 1975 avec GlobalTools qui devient une « contre-école d’architecture et de design » selon les termes de la commissaire associée Marie-Ange Brayer. Ses tenants des arts appliqués revendiquent leur aspiration à repenser l’espace social et politique, dans un nouveau cadre écologique : qui utilise des matériaux pauvres en développant un savoir-faire manuel, artisanal. Leur création s’y veut collective et participative.
Quand ils travaillent la sculpture ce sont souvent à partir d’éléments hétérogènes qui apparaissent comme des vanités contemporaines, à l’instar de Giovanni Anselmo, qui dans (Struttura che mangia), (Structure qui mange) de 1968 réunit blocs de granit, fils de cuivre et laitue fraîche. Pino Pascali dans ses tableaux-objets assemble des composantes de provenance diverse comme dans son tondo Les plumes d’Esope. Jannis Kounellis opère souvent de façon semblable avec par exemple son panneau de métal d’où sort une chevelure féminine nattée. Paolo Calzolari opère lui avec des structures givrantes associée à d’autres matériaux.
Si la photographie est peu présente sinon pour garder traces de performances se déroulant dans la nature, avec Giuseppe Penone notamment, on est heureux de découvrir une œuvre argentique de grand format d’Emilio Prini Presse papier. Michelangelo Pistoletto quant à lui aimait travailler des mises en abyme du réel par des dérivés du principe photographique. Ainsi il sérigraphie partiellement sur miroir ou sur acier des figures humaines. Il en résume ainsi son action : « Pas question de changer les formes tout en laissant le système intact, il faut plutôt emmener intactes les formes, hors du système. »
Parmi les artistes moins connus l’exposition présente une pièce de grand format de Mario Ceroli Caisse Sixtine un bungalow en bois dont les figures anthropomorphes rappellent celles du pop art. Le rapprochement dans une des ouvertures de deux profils masculin et féminin évoquent cette performance de Marina Abramovic et Ulay, nus dans l’entrée d’un musée, obligeant les visiteurs à frôler leur corps pour entrer.
Le catalogue de l’exposition, écrit par Didier Semin ex-conservateur du Centre, reprend en l’actualisant la publication de la collection Jalons de 1992. Les douze principaux représentants, dont une seule femme Marisa Merz, y sont approchés de façon subtile. On y retrouve l’intérêt de Giulio Paolini pour « un tableau à venir », les sculptures à mesure du corps de Luciano Fabro, les alchimies plastiques d’ Anselmo ou de Gilberto Zorio ou les cosmogonies de Mario Merz.