Depuis plusieurs années Kader Attia poursuit une œuvre d’une très grande exigence qui emprunte ses protocoles à différents domaines du savoir, architecture, psychanalyse, sociologie, anthropologie … Grâce à ces apports il continue de montrer l’importance du concept de réparation dans l’histoire récente. Avec « Les racines poussent aussi dans le béton » il intègre tous les espaces des expositions temporaires du Mac Val à l’invitation de Frank Lamy pour une relecture critique des architectures collectives qui ont envahi les banlieues à partir des années 1950 en France comme en Algérie.
L’ensemble de l’exposition à caractère rétrospectif fonctionne comme un labyrinthe qui confronte le visiteur à différentes sensations physiques suscitées par des œuvres relevant de techniques aussi diverses que photographie, ambiance sonore, ready made, vidéo, sculptures et installations. Les visiteurs du CCC de Tours en 2009 se souviennent d’avoir progressé maladroitement sur les toits de son installation Kasbah entourée d’antennes paraboliques. La structuration de l’espace de visite agit de même. Un premier couloir assez étroit nous oblige à détailler les collages de 2012 Modern Architecture Genealogy tandis qu’une imposante maquette d’un grand ensemble désossé leur donne un contexte historique.
Au bout de ce couloir nous retrouvons l’installation de graines de couscous (Untitled Ghardaïa) dont les traces sur le sol laissent surgir les formes simples de l’architecture Mozabite de la ville de Ghardaïa, dont Le Corbusier s’est inspiré dans les années 30. A ce regard en plongée comme lors d’une vue aérienne succède une vision à hauteur d’œil des poteaux de charpente d’immeubles de Berlin dont l’installation donne son titre à l’ensemble des œuvres Les racines poussent aussi dans le béton .
Dans une alternance d’ombre et de lumière notre déambulation nous conduit ensuite à longer les grillages lardés de pierres de l’installation conçue pour le musée avec ce titre On n’emprisonne pas les idées. Au détour d’autres couloirs se sont les figures de prostituées transsexuelles algériennes photographiées en pied qui nous interpellent , elles rappellent leurs consoeurs de la projection diapositive The landing strip (2000 ).
Diverses œuvres liées à la double culture de l’artiste et à la vie quotidienne font chorus , on y trouve les pains traditionnels en ornement muraux, les Plastic Bags de 2008, la bétonnière brassant des clous de girofle émanant son Parfum d’exil, 2018 et le Doux et âpre souvenir, 2018 partagé par les femmes âgées de la boîte lumineuse We have never been Modern, 2015, toutes sont réunies dans une approche mémorielle de L’intégration.
Nous retrouvons encore la vidéo Oil and Sugar (2007) toujours surprenante : un édifice de sucres blancs évoque de façon curieusement monumentale la forme de l’édifice central de La Mecque, la Kaaba, les cubes se trouvent lentement minés par une coulée improbable de pétrole qui en ruine la majesté.
Avant de quitter l’espace nous longeons l’installation Skyline appartenant à la collection permanente du MacVal dont les réfrigérateurs de toutes tailles recouverts de peinture noire et de tesselles de miroirs reconstituent une ville fantôme et menaçante.
L’ensemble de ces œuvres d’une grande sensibilité met en scène de façon subtile les cités-dortoirs, avec leurs horizons de coupoles paraboliques où les premières vagues migratoires ont trouvé refuge. Kader Attia met en cause la décolonisation en lui opposant des corps qui pour se réparer remettent en question les différentes contraintes idéologiques que la société leur impose.