Retour sur la 21e fête de l’eau à Wattwiller

Créée en 1998 à l’initiative de François Schneider, alors propriétaire des Grandes Sources de Wattwiller, cette manifestation rare se présente comme un « parcours d’art contemporain » dans les différents sites privés et communaux de cette petite ville d’Alsace, haut lieu de la violence des combats de la première guerre mondiale. Cette manifestation profite du cadre champêtre et de l’accueil de nombreux habitants qui hébergent les artistes puis leurs œuvres mises en scène dans le quotidien. Sous la direction artistique de Sylvie de Meureville, elle même sculpteur, elle invite chaque année une dizaine d’artistes de différentes disciplines.

L’an dernier la FEW (est-ce un hasard si cet acronyme désigne en anglais le choix du « peu » mais de haute intensité ?) a publié un catalogue pour ses 20 ans. 113 artistes ont répondu à la demande de l’organisatrice de donner une page inédite pour parler de leur rapport à l’eau en général ou à la manifestation en particulier. Un parcours très libre se met en place pour le lecteur qui peut passer des jeux de mots des performers de L’Epongistes (Germain Roesz et Jean-François Robic) à des sculptures in situ de Denis Pondruel. Un artiste de la nature comme Michel Blazy trouve justement sa place avec une œuvre singulière : « 10 jours et 10 nuits de goutte à goutte sur une pile de photocopies couleurs ». Dans la publication les réponses photographiques sont nombreuses, on retrouve les couleurs sensuelles des Littorals de Yannick Vigouroux, les créatures interlopes de notre regretté ami Jacques Robert ou les espaces industriels de Nicolas Decottes.. Des vidéastes ou cinéastes expérimentaux comme Robert Cahen ou Christian Lebrat dialoguent avec la plasticienne Bernadette Delrieu et ses techniques mixtes.Les nouvelles technologies sont bien représentées par une vue d’installation de Francesco Ruiz de Infante, les pixels liquides de Miguel Chevalier ou l’Electric Shower d’Hervé Lesieur.

Chaque année s’anime autour d’un thème suffisamment large pour respecter cette diversité de pratiques, ont été ainsi déclinées les expressions « L’eau à la bouche, Eaux et forêts ou En eaux troubles » ; à la question des « Réseaux » en 2016 répond cette année l’enjeu de la propreté exprimée par la formule ambiguë « Au sens propre ». Depuis des années le préposé au nettoyage en art contemporain est le nantais Régis Perray. Dans un pré qui domine la ville il a installé son adjoint le nain nettoyeur, dont il a incarné les aventures dans différentes performances. L’artiste s’est fait connaître aussi pour son goût de la vaisselle décorée. Son installation de l’Abbaye de Maubuisson était impressionnante par l’envahissement massif du lieu. (http://www.regisperray.eu/). A Wattwiller il a choisi pour une nouvelle installation le petit cours d’eau qui descend des montagnes entourant le site. Sans saturer le lit de la rivière il a choisi de disposer quelques fragiles pièces de vaisselle au long de son cours. Le résultat est bouleversant.

D’autres artistes ici invités interrogent des liens entre diverses pratiques ainsi Juliette Vergne matérialise ses recherches sur le recyclage des tissus et leurs teintures naturelles. Sabine Gazza se consacre à la relation entre dessin et musique, en utilisant aussi la vidéo. Le même support est approché de façon plus scientifique : le groupe Encastrable composé de Paul Souviron et Antoine Lejolivet est parti en Israël à la recherche de l’énergie de l’eau de la Mer Morte.

L a Fondation François Schneider qui vient d’inaugurer son exposition L’Atlas des Nuages reste un partenaire de la Fête, cette année elle a accueilli en résidence Yann Bagot pour poursuivre ses recherches sur les interactions entre l’eau, l’encre et le papier (http://www.yannbagot.com). Il est l’une des révélations de cette édition. Son mode de production de ses dessins fait la part entre une production manuelle et une modification formelle qui semble rejouer le processus du développement photographique. Présentés en lumière naturelle dans une salle basse de l’église du village ses dessins prennent une force rare.

Cette édition permet de renouer avec un des plus radicaux vidéastes français Samuel Rousseau qui remet en situation dans le garage d’un particulier sa célèbre « Lessive raciale » de 2002, (http://www.samuelrousseau.com/). En matière de questions ethniques, les notions de « nettoyage » ont souvent pris une dimension idéologique violente que cette œuvre semble contredire avec humour et efficacité pour dénoncer le racisme de nos sociétés. Il faut (re)lire son catalogue manifeste publié en 2013 lors de son exposition au Creux de l’enfer à Thiers : « Un monde-machine mis en abîme » où il précise ses règles pour un sculpteur libre. Cette liberté artistique se manifeste dans toute la fête de l’eau avec des recettes simples à taille humaine pour des œuvres d’une rare exigence.