Retour sur l’histoire de l’anatomie

Raphael Cuir est critique et historien d’art, docteur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, depuis plusieurs années il dirige l’Association Internationale des Critiques d’Art dont il a dynamisé l’action.« Renaissance de l’anatomie » qui vient de paraître aux éditions Hermann fait le point sur ses recherches des représentations du corps de la Renaissance à nos jours. Si ce livre est dédié à ORLAN c’est qu’il partage sa vie et que son œuvre a inspiré et soutenu ses recherches. Les liens entre sciences de l’homme et création artistique débouchent sur des interrogations philosophiques qui continuent de nourrir l’art actuel.

Le livre s’ouvre sur deux textes de Yves Hersant et Georges Didi-Huberman, deux personnalités incontestées de l’EHESS. Le premier se focalise sur le double intérêt réciproque des anatomistes envers les artistes qui les assistent. Le second en titrant « Main dans la main du mort » insiste sur la relation humaine qui se trouve renouvelée dans l’animation des figures disséquées autant que dans leur érotisation.

Raphael Cuir se préoccupe d’abord de la mise en scène de squelettes et d’écorchés animés, c’est à dire à qui l’on donne l’apparence de la vie . Il réfute l’idée que les artistes ne s’y intéressent que « par goût du bizarre ou du macabre ». Ces animations en font des figures discursives en lien à Thanatos comme à eros.

Trois figures essentielles de ces recherches médicales sont mises en avant : Berengario da Carpi, Charles Estienne et André Vesale , louées pour leur humanisme. Dans leurs ouvrages ce dernier s’attache à la primauté de l’image sur le texte. Vasari a exalté l’équivalence entre le grand art et le vivant qui a pour conséquence d’envisager le corps humain comme œuvre d’art. Ce que Vesale revendique dans son titre De humani corporis fabriqua. Cette « fabrique » commune nourrit les relations entre expérimentation anatomique et recherche d’une vérité artistique corporelle. Vésale en faisant appel à des artistes capables de rendre dans leurs gravures une exceptionnelle qualité naturelle réussit à faire oublier la dimension macabre des sujets.

Les attitudes données aux squelettes dans ces gravures animées ont pour utilité de mettre en avant l’usage de chaque partie du corps en lien à ses fonctions. L’auteur étudie ensuite le cas particulier des dessins anatomiques de Léonard de Vinci dont il vante comme d’autres commentateurs scientifiques ou artistiques l’étonnante perspicacité. Un citation de son Codex Atlanticus : « Alors que je croyais apprendre à vivre, j’apprenais à mourir » sert d’introduction à l’étude des thématiques de la mort ainsi enrichies. Raphael Cuir s’appuie sur les arguments des médecins pour défendre leur pratique qu’il présente, paradoxe, comme « une théologie parfaite ». Ces représentations sont ensuite rapprochées des traditions des Danses macabres ou du Jugement dernier.

Se fondant sur une théorie bien connue de Jacques Lacan : « Jusqu’alors rien de la connaissance ne s’est conçu qui ne participe du fantasme d’une inscription d’un lien sexuel » l’auteur développe sa théorie d’un éros anatomique, renforcé par l’apparente complaisance d’exhibition de certaines figures féminines. Les nouvelles connaissances apportées à l’humain par ces expériences et leurs singulières représentations aboutit à une nouvelle connaissance de soi.

Le « désenchantement du corps » qui survient ensuite avec le cartésianisme, est lié à la séparation entre l’âme et le corps manifesté dans « la machine écorchée ». . Elle se manifeste de façon hautement artistique dans les œuvres du peintre flamand Gérard de Lairesse autant que dans ses illustrations de planches. Il les rapproche du célèbre Cavalier de l’Apocalypse d’Honoré Fragonard.

La conclusion en rappelant qu’à la Renaissance « l’être humain (qui) renoue avec son corps l’ouvre et découvre Dieu à l’intérieur » refait le lien avec la pensée de Descartes. Mais l’auteur extrapole ces dédécouvertes en les rapprochant des moyens bio-technologiques contemporains d’exploration interne du corps. Ce qui lui donne l’occasion d’évoquer les artistes actuels de l’intériorité organique : Gilles Barbier, Mona Hatoum, Marc Quinn, ORLAN ou Jan Fabre.