Mary Sue expose à la Galerie Caroline Rabouan-Jacqueline Moussion ses dernières œuvres, des sculptures d’un brillant parfait à l’allure de produits industriels et qui ont été pourtant réalisées et polis à la main et des vidéos aux allures de pub pour bonbon empoisonné. Les photos, elles, constatent que l’écart entre le rêve et le cauchemar a sans doute l’épaisseur d’un autre rêve, un rêve de papier.
Il y a le manège. C’est la vidéo. Il y a le stand de tir ou le tournoi de chevaliers. C’est la photo. Il y a le cheval, autrefois de bois, aujourd’hui en résine polie, brillant et monochrome, sous neuf du désir au marché de la déception.
Les chevaux, embrochés comme de vulgaires méchouis ne se content pas d’occuper l’espace, ils le barrent en tout sens. Présence hallucinée, ils sont morts, tous, ou plutôt ils sont là, objets déclassés d’un rêve moribond traversés de la barre qui sur le manège leur servait de support et de rampe d’élan pour s’élever vers le ciel du désir.
Sur le cheval du rêve, il y a Mary Sue. Le moment du bonheur est passé. La vidéo le montre. Le va et vient de la jouissance, monter descendre, glisser, remonter, tout est là, les couleurs, l’attitude, la tenue. Le rêve est un univers préparé, comme un piano de John Cage que l’on aurait installé pour l’occasion dans un parc d’attractions.
Sur certaines photos, le protocole semble avoir déraillé. Rien de cela n’affecte la qualité de l’image, seulement ce qu’elle montre : Mary Sue littéralement transpercée à son tour par la lance infinie du désir de l’autre et plantée là comme un aveu sans effet. Il ne semble pas qu’elle soit morte. Il ne semble pas qu’elle soit vivante.
Elle voulait savoir et elle sait. Ce qu’elle sait ? Comment marche le désir dans le grand cirque du monde. Elle y est parvenue en transformant son petit monde intérieur en un cirque et en faisant de ce cirque la métaphore du grand cirque du monde.
Aussi propre et rutilant qu’une voiture neuve, aussi brillant qu’un show à Las Vegas, aussi lisse qu’un souvenir de quelque chose qui n’a pas existé, le manège de Mary Sue est un jeu de farces et attrapes. Celle qui se montre est aussi celle qui est prise. Celui qui regarde est aussi celui qui est décrypté. Et le tout est enveloppé du voile transparent de la mélancolie, et de la désespérance.
On a bien ri et maintenant, il faut payer. Nul ne sait quoi à qui, mais il n’y pas d’autre solution pour s’en sortir que de payer. Nul ne sait combien. Mary Sue, elle, le sait. Le prix à payer pour décrypter les clichés qui nous hantent et faire exploser machine à clichés qui produit sans fin des images fausses dans nos têtes vides, c’est la mort du rêve.
Voulons-nous choisir ? Il semble que nous n’ayons plus le choix. Voilà sans doute ce qu’elle nous dit, en catimini et avec l’air de ne toucher à rien, un air qui révèle que l’air que nous respirons est irrespirable.