On peut voir durant encore quelques jours Au Château d’Asnières une exposition d’artistes contemporains estoniens. L’exposition s’inscrit dans le cadre du festival Estonie Tonique, il est l’occasion, à travers des approches très diverses de s’interroger sur les conditions de productions de nos œuvres.
Intitulé Liberté/vabadus 2011, l’exposition doit se comprendre à travers une question sous-jacente, celle d’un art contemporain national. Cette interrogation qui n’est pas si étrange si l’on pense aux offensives de la Force de l’art ou des Young British Artists, prend vis-à-vis de l’Estonie une résonance bien plus forte. Le pays, d’une population d’à peine 1,2 millions d’habitants, niché entre la Russie et la Finlande, a longtemps été un enjeu politique majeur pour ses voisins. Il n’a acquis son indépendance qu’en 1991. Savoir, de là, comment peut se définir un art contemporain estonien.
De cet exercice délicat, l’exposition se tire avec justesse, posant les points de convergence d’une identité commune en même temps que l’éclectisme de pratiques et de pensées singulières, tissant enfin des liens avec d’autres discours et d’autres territoires. Les œuvres réunies évoquent cette question d’une liberté longtemps contrainte, par la sculpture et la vidéo, l’installation, elles soulèvent dans de nombreux cas la question des medias. La liberté est celle des individus, mais surtout de leur pensée. Jüri Ojaver, présente la vidéo absurde d’un homme imitant un cormoran, battant maladroitement des ailes sans décoller du sol, cette vidéo n’est pas présentée sur un moniteur, mais dans une ancienne radio, une radio à onde courte, le seul modèle disponible, un modèle qui ne permettait pas à la population de capter les stations au-delà du rideau de fer. L’installation de Aili Vahtrapuu, Louis Dandrel et Viivian Joemets reprend cette question dans une sculpture métallique ou sont diffusées plusieurs bandes son, dont la voix de l’actuel président d’Estonie.
Si la Lituanie a le privilège d’avoir eu un président Fluxus, l’Estonie a comme président un ancien journaliste de Radio Free Europe. Un autre a d’ailleurs été écrivain et traducteur. S’il faut le souligner, c’est parce que la question de l’indépendance marque pour le pays, non seulement la question centrifuge de l’identité, mais également l’enjeu centripète de son ouverture, de ses rapports à l’extérieur. Plusieurs travaux de jeunes artistes questionnent cet extérieur comme reflet de leurs réflexions ainsi Villu Plink qui collecte les moments télévisées où une personne à l’écran s’écrie « Oh my God » ou Kiwa et Terje Toomistu qui ont réalisé un documentaire sur la question du transgenre en Indonésie. Ce film s’il interroge un enjeu contemporain, le fait d’une manière singulière. D’une part, il s’attache à un territoire où cette question est en conflit avec la loi, d’autre part il puise son matériau dans un fond ancien de tradition et d’histoire.
Cette histoire ancienne, ces formes et ces échos d’un passé ancien enjambent une période temporelle manquante – l’occupation russe. On en retrouve la trace dans plusieurs autres œuvres de l’exposition, comme dans l’installation à la fois simple et complexe de Jevgeni Zolotko où sont réunit des banderoles vierges, un plan de la Bastille et des livres reconstitués à partir de pâte de papier. Le medium reste un outil dont on est responsable, il pointe que le livre ou la politique restent des outils et non pas des fins spectaculaires. Ce lien particulier au monde et à sa mémoire manifeste une pensée qui évoque Erasme autant que les réseaux informatiques. Elle mobilise dans cette exposition, la possibilité d’une circulation libre, discrète et éclairé, des formes et de l’information.