Richard Conte, les animaux en souffrance nés de la peinture même 

Richard Conte mène son œuvre picturale depuis les années 1970 avec une grande maitrise technique entre disciplines classiques issues du dessin et pratiques expérimentales héritées du surréalisme. Son enseignement universitaire en tant que professeur (aujourd’hui émérite) à Paris 1, a été principalement consacré à la poïétique des arts et aux arts plastiques. De sa pratique régulière et passionnée de la peinture naissent des figures indécidables où animaux et humains se côtoient sur la scène close de la toile. 

Dès son arrivée à Paris en 1972, il entame un compagnonnage exceptionnel avec René Passeron dont il suit les cours à l’université, avant de partager sa culture surréaliste, sa pratique de peintre autant que son rapport à la théorie, contre l’esthétique académique et pour l’étude des artistes au travail. Ensemble ils ont ainsi fondé la revue Recherches poïétiques, selon le concept repris à Paul Valéry. Cette amitié de créateurs se prolonge jusqu’à la mort du philosophe et historien de l’art en 2017. Vingt ans plus tôt, Passeron avait confié à Richard Conte une dernière mission : intégrer ses cendres à un tableau Le peintre et son modèle, préparé depuis longtemps à cet effet, lui permettant d’être le premier peintre à finir physiquement dans son œuvre. Ce qui sera réalisé en 2018 lors d’une cérémonie intime dont témoigne le film de Christian Lallier, Le passeur.

Quant aux autres sources, sa grande culture lui fait apprécier beaucoup d’artistes très divers tels Jerôme Bosch, Caravage, Goya, Francis Bacon, Sigmar Polke, ou d’autres dont il peut retrouver certaines formes, protocoles ou détails dans sa propre pratique en cours d’élaboration, comme Serge Poliakoff ou Jean Hélion. Quant aux contemporains, il signale sa préférence pour Vincent Bioulès, Bernard Frize, Vincent Corpet et Stéphane Pencréac’h sans oublier son complice le céramiste Michel Gouéry.

Le lien intrinsèque qu’il établit entre la peinture et l’animal repose sur leur inscription dans l’histoire même de l’humanité. Il décrit la première comme « un phénomène anthropologique capital, dont le fil est déroulé depuis la nuit des temps ». Les animaux quant à eux ornent les grottes et leur présence est constante dans toutes les civilisations « avant les mots, ils sont ceux que notre enfance rencontre dans les livres d’images » dit-il. Son expérience picturale s’est développée dès la jeune adolescence auprès de Renée Baraton, prix de Rome, qui lui a donné des cours particuliers et lui a appris la peinture à l’huile, le modelage et surtout le dessin. Un héritage qu’il n’oublie pas.

Il aime décrire sa création comme un salmigondis de matières, (rappelant la définition du mot comme « l’art d’utiliser les restes de viandes », des forces et des couleurs où surgissent des figures présentant un coefficient plus ou moins important d’humanité ou d’animalité. Il ne les garde que si elles le surprennent dans un étonnement persistant. Il ne conserve qu’une ou deux figures parfois indécidables entre l’humain et la bête, une sorte de fable en émerge. « Souvent ces personnages sont comme le porte-manteau d’une forme-matière, une peinture faite d’oripeaux iridescents, fluo et souvent parsemés de paillettes », elles aussi héritées de René Passeron. 

Mais ce sont avant tout des peintures jouissant de l’onction et de la ductilité de la pâte, dans le rapport à la chair, aux liqueurs du corps. Ce bestiaire fonctionne selon un mode d’apparition spécifique : en cours d’élaboration, le peintre regarde sa toile dans tous les sens, la retourne jusqu’à identifier une scène qu’il met alors en évidence. Selon la thématique, qui progressivement se dégage, certains animaux ressemblent à des animaux existants et d’autres restent indéfinis ou trouvent des formes hybrides.

Quant aux humains, ils entretiennent avec les bêtes toutes sortes de relations comme le prouvent ses titres ou leurs présupposés : désir (Le désir démasqué), protection (Mon bébé rhinocérosLa maitresse des oiseaux, Consolation), manipulation (le marionnettiste) ou encore soumission (Crache ta museLa bête et le pantin). 

La maîtresse des oiseaux, diptyque,130 x 195 cm., acrylique sur toile, 2021.
Le désir démasqué,116 x 162 cm. acrylique sur toile, 2021.

Dans des pièces de petite dimension en volume que l’on trouve sur son site dans la catégorie BioArt, les Pommes libertines  sont ornées d’images de couples en situation de rapports sexuels. C’est le duo fondateur, mais dans ses peintures le duo peut devenir un duel, un combat, un rapt, une dévoration… Pourtant tout n’est pas dualité ou adversité ni au sein des espèces animales ni en lien aux humains car de nombreuses toiles sont des scènes de consolation, de maternité ou encore des fables plus complexes avec plusieurs figures dans un décor. 

Richard Conte reconnaît volontiers une tension en action entre du tragique et du merveilleux, même si Michel Guérin dans son essai Rêves de bêtes (à paraître dans la Collection Diptyque des éditions La Part de l’Œil), déconstruit l’opposition en l’analysant de façon plus nuancée. L’artiste adhère à l’idée de bestialité souffrante reconnaissant ressentir une forme particulière de pitié pour la condition animale qui résonne avec l’humain dans une continuité. Comme Philippe Descola qui ne fait pas de différence nature/culture, il considère la continuité du vivant. Il voit les animaux très menacés, il ne choisit pas comme Gilles Aillaud de les peindre cachés, il connait leur mimétisme, leur capacité de fuite, mais il sait qu’il n’y a pas de cruauté en eux. Paraphrasant Paul Valéry il s’amuse à déclarer que « le plus profond dans l’homme c’est l’animal ». 

Par défiance et rejet de la toile blanche, Richard Conte a souvent utilisé des toiles anciennes qu’il recouvre, macule ou réorganise comme il l’a déjà fait précédemment dans ses Hybrides et ses échoués roulés et mis en tension sur des cadres qu’ils débordent. Faisant toujours jouer la logique de la matière peinte, il a créé quotidiennement des dessins sur des liasses de papier coton. Il y a mixé toutes sortes de techniques, de l’encre au pastel, de l’aquarelle à l’acrylique. Le papier est résistant à toutes les interventions, même si certaines figures au feutre à alcool le traversent. Ses liasses sont cousues par la tranche et par ensembles de 192 pages. 

Liasses, dessins et peintures sur papier de coton, chacune 192 p., 2019 – 2023

L’organisation binaire des liasses a provoqué l’envie d’une transcription dans un format beaucoup plus important et pour cela il a acquis des toiles de même proportion que les pages afin d’en faire des diptyques et restituer la même dynamique que celle des liasses. Naturellement sont donc apparus ces diptyques qui gardent la mémoire des liasses en proposant soit des compositions symétriques, comme dans Tant qu’il y aura du miel et d’autres fois une sorte de continuité franchissant la ligne centrale et proposant des compositions asymétriques (Consolation). Mais le plus important dans son avidité de création pour exacerber la logique picturale, c’est que tout en restant des livres d’artistes autonomes, les liasses sont devenues une réserve inspirante, un thesaurus pour les tableaux futurs.

Tant qu’il y aura du miel,116 x 178 cm., acrylique sur papier de coton marouflé sur toiles, 2020.
Menant de concert son activité de création et ses recherches poïétiques, Richard Conte est à la fois peintre, performeur et professeur émérite de l'École des arts de La Sorbonne de l'université Paris 1. 
Il expose depuis 1981 et a aussi réalisé plusieurs performances significatives comme la peinture en direct de 64 matches de la Coupe du monde football 98 ou Pommes libertines avec le Potager du roi à Versailles. Ses œuvres sont dans de nombreuses collections en France et à l'étranger.

Dernières expositions
2023 Mes légendes dorées, DB Galerie, Paris
- Danse avec les bêtes, galerie GAZ (General art zone), Les Sables d’Olonne. (texte de Claire Margat).
2022 Les Animaux malades de l’Humain, Papeete, 2022 (Catalogue, texte de Richard Leydier)
2020 Galerie Michel Journiac (avec Michel Gouéry, texte de Gilles A. Tiberghien)

Dernier Livres
2024 (Avec Michel Guérin), Rêves de bête, Ed. La part de l'œil, Bruxelles
2023 René Passeron, la création en acte (Dir.) Editions de La Sorbonne, Paris.
2022 (Avec Serge Pey) Danse avec les bêtes, Ed. Tarabuste, Saint-Benoît du Sault.

Films récents

2021 Tant qu’il y aura du miel, Axel Clévenot, 12 min (ici sur vimeo).
2018 Le passeur, Christian Lallier, 18 min.

Site de Richard Conte