D’abord peintre, Rita Alaoui s’est éprise de passion pour des objets trouvés, des éléments qui renvoient à l’histoire de lieux et d’architectures. Glaneuse, collectionneuse, attentive aux éléments qu’elle découvre, elle construit son monde à partir de ce qu’elle recueille. Ses fragments qui constituent une partie de la mémoire d’un territoire incarnent le passé géologique d’un site et sont sujets de récits, de pouvoirs que chacun de nous leur attribuons.
Son attachement aux « pierres curieuses » comme elle les nomme, aux os, aux bois flottés et aux objets auxquels on attribue un symbole au fur et à mesure de l’attachement qu’on leur porte se révèle dans ses compositions, « paysages miniatures » où ils sont acteurs d’une scène. La pierre est pour elle un élément inépuisable à partir duquel elle porte son attention. Elle l’explore comme un territoire où rechercher les lignes d’une topographie.
Ses dessins révèlent les textures de cette matière silencieuse et qui pourtant a beaucoup à nous dire. De son observation du volume, de la couleur, des anfractuosités, de la brillance, des variations entre les faces brutes et polies des pierres, un espace cosmique, une cartographie d’un territoire, une forme vivante apparait selon ses œuvres graphiques. Les travaux sur papiers de Rita Alaoui renvoient aux diverses relations que nous pouvons entretenir avec les éléments issus des milieux dits de nature. Ses œuvres révèlent « ces formes travaillées par les phénomènes naturelles, les animaux, le temps qui en laissent des marques indélébiles » précise Rita Alaoui. L’artiste dessine leur portrait en s’en approchant au plus près pour saisir leur essence. La beauté naturelle des éléments est mise en lumière dans ses dessins à la ligne fluide.
Dans ses peintures à l’acrylique, elle poursuit son attention aux détails et aux formes, bosses, porosités et cavités présents dans les objets qu’elle recueille. D’autres réalisées aux brous de noix témoignent d’une gestuelle, d’un mouvement, celui de la collecte ou de la caresse. Récemment, la vue du jardin depuis son atelier l’amène à des œuvres picturales où elle compose des espaces dans lesquels elle confronte des objets, du mobilier à une nature domestiquée.
Ses objets collectés donnent également naissance à des assemblages réunissant des images, des textes, tels des espaces miniatures pour raconter des souvenirs. Elle prête un soin particulier aux objets qu’elle dispose dans son atelier telle une archéologue. Puis, elle les assemble et des images de personnages se révèlent chez celui qui les contemple. Ses œuvres sont teintées d’une certaine spiritualité, font écho à des fétiches et à des objets pour des rituels. Le fil protège, répare l’élément, sorti de son milieu et préservé pour devenir sujet de mythologies. Nourrie par la lecture des poèmes consacrés aux pierres de Roger Caillois, l’artiste donne une âme à ces éléments, les personnalise, en repensant à ses souvenirs d’enfant qui donnait des noms aux objets. Les pierres deviennent rassurantes, réconfortantes, bienveillantes et incarnent une histoire. Elles contiennent l’esprit de lieux archaïques. Rita Alaoui aime donner des titres évocateurs à ses œuvres, qui donnent parfois suite à des récits.
Elle s’intéresse également aux arbres et a réalisé des maquettes de forêts miniatures qu’elle présenta à 1m10 du sol. Elle incitait les visiteurs à se pencher, à se baisser pour approcher l’œuvre. Ses œuvres rappellent combien l’homme cherche à montrer sa puissance face à la nature et nous convient à une humilité face à ces êtres vivants qui peuplent les forêts. L’histoire se passe à l’intérieur de ses pièces, invitations à respecter les poumons de la nature.
Dans ses dessins et livres d’artistes, la pierre, les autres matières organiques et minérales qu’elle ramasse, réunit, personnifie, témoignent d’un moment du quotidien conservé comme un souvenir. Ses œuvres se rattachent à des curiosités qui pourraient avoir leur place dans un musée d’histoire naturelle.
Son travail artistique a une portée universelle et mêle plusieurs références, de l’art du jardin intérieur au Maroc, aux dimensions animistes présentes dans d’autres cultures ainsi qu’à un certain romantisme. Les pierres pour Rita Alaoui l’amènent à convoquer un seul et même territoire et lui permettent de dépasser les frontières entre son pays d’origine, le Maroc et les autres contrées. Ses œuvres tendent à nous faire prendre conscience des rapports entre humains et non-humains.
Désormais, elle se laisse d’autant plus guidée par son approche de la matière. Ses sculptures en céramique furent imaginées avec la contrainte de créer des formes en 4, 5 gestes, tracés de la main directement sur la terre. En expérimentant la terre de façon quasi primitive, elle recherche la spontanéité, l’origine de la vie. Ses objets sculpturaux sont fait pour être pris dans une main et s’apparentent aussi bien à des personnages, des montagnes ou des coraux.
Récemment dans le cadre de son exposition au Café Parisien à Saulieu, Bourgogne, elle a réalisé une œuvre en trois dimensions, Fétiches, constituée de bois flottés suspendus, noués de fils qu’elle glorifiait comme des objets sacrés dans un temple. À ses compositions, installations, peintures in situ, ensemble d’œuvres qui crée un récit, elle pense l’exposition comme un réceptacle de ses créations, voire de son atelier. Ainsi, son exposition « Vos rêves » à Artéfact Project Space dans le marais, Paris, lui a offert l’occasion de réaliser une œuvre pour le lieu, peinture murale, espace pour ses œuvres de petits formats.
Son univers artistique offre un aller-retour entre le microcosme et le macrocosme, entre l’élément minuscule et le milieu où elle observe les éléments végétaux et minéraux. Ses créations nous incitent à repenser nos liens envers la nature, encore préservés dans des cultures anciennes qui la respectent. Celles-ci rappellent combien les éléments qui émergent de l’eau ou du sol incarnent les traces laissées par le passage du temps.