L’oeuvre de l’artiste anglais Roger Ackling, né en 1947, reste singulière dans sa radicalité . Lydie Rekow-Fond lui consacre une étude monographique « Roger Ackling, où point l’invisible » publiée par De l’incidence éditeur. Cet essai fait suite à une longue confrontation avec l’artiste qu’elle a rencontré régulièrement avant sa mort en 2014. Bien que la simplicité de son vocabulaire et la rigueur de son protocole soient restées semblables tout au long de sa vie la critique montre la lente élaboration de cette recherche par une approche au plus près des oeuvres qui se nourrit aussi d’écrits inédits de l’artiste.
Lydie Rekow-Fond historienne de l’art contemporain conjugue un parcours de chercheuse ,d ‘enseignante et de curatrice. Habilitée à diriger des Recherches doctorales, elle enseigne dans les Universités de Saint-Étienne et de Meknès au Maroc après être intervenue dix ans à l’ École des Beaux-Arts de Lyon. Ses travaux s’intéressent aux démarches recoupant plusieurs disciplines comme les relations corps-espace ; corps- langage et art-sciences. Elle a ainsi publié en 2012 une monographie concernant l’oeuvre de Paul Armand Gette La passion des limites L’Harmattan Editions . Elle aime questionner aussi l’art éphémère, l’esthétique furtive et les formes en devenir c’est ainsi que l’oeuvre de Roger Ackling a suscité son intérêt.
On peut y voir l’influence de quelques-uns des mouvements les plus significatifs de cette période, le land art, le process art et le minimalisme. Artiste marcheur il crée ses sculptures à partir d’objets sans caractéristiques notables rencontrés sur son chemin . Il a d’abord arpenté les plages ou landes anglaises pour collecter des fragments de bois flotté grisés, blanchis par le sel et le passage du temps sur lesquels il intervenait sobrement. Etudiant à la Saint Martin School of Arts de Londres entre 1966 et 1968,il y côtoie Hamish Fulton et Richard Long avec qui il
reste ami.
A cette époque les premières expériences de l’utilisation du feu en art datent d’Yves Klein avec ses Peintures de feu de 1961, travaillées au chalumeau ses toiles préalablement marquées par le contact des modèles voyaient leur surface totalement investie. D’autres artistes qui se sont ensuite consacré à cette pratique
comme Claude Viallat, Christian Jaccard ou Jean Paul Marcheschi ont pratiqué de même, dans des formes de all over de l’action du feu. La singularité du « geste-forme » de Roger Ackling réside dans le caractère minimaliste de son action en un parti-pris formel et esthétique de l’épure.
N’employant qu’un seul outil, une loupe et qu’un seul médium, le soleil sa méthode de contrôle aussi inédite que précise produit un dessin de points de brûlure gérant la la puissance de l’énergie solaire. Les différentes phases du travail ont toujours été orchestrées par l’idée de rituel.
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Lors d’une conversation en 2013, Roger Ackling confiait à l’auteure l’influence des concepts esthétiques liés au bouddhisme Zen : le wabi mélange la sobriété et la réserve alors que le sabi traduit la valeur acquise par l’ancienneté.Enfin le shibui. se rapporte à la contraction, à la condensation des choses – à une qualité et une beauté cachées que nous serions invités à découvrir dans les objets simples. Elle en déduit malgré l’aspect prosaïque des oeuvres leur dimension sublime résultant
du processus de travail dans sa dimension performative
En préambule à son cérémoniel solitaire il ménage un temps d’observation du ciel et du climat pour mener son action-expérience à caractère méditatif. La contrainte climatique fut ainsi un facteur déterminant pour un ensemble de dessins sur carton des années 80, associés à la météorologie. Des travaux de 1982-1983 présentés pour la première fois en accompagnement de la sortie du livre exposent des cartons préalablement enduits de cire dont une action douce de la chaleur suffit à faire refondre la couche pour donner un caractère translucide différent créant une sensation d’impalpable. Toujours soucieux d’une économie de moyens la diversification des supports, bois ou carton, ne céda jamais à la permanence du protocole.
L’inscription réitérée de l’unique point-motif noir devenu ligne contribue à un renouveau de la pratique du dessin . Lydie Rekow-Fond l’assimile aussi par son caractère d’empreinte à une variation possible de l’image analogique : « L’énergie focalisée par la lentille de verre fait chez lui office d’objectif, comme on le dit pour la photographie. » Son application sur des objets rebuts de relativement petites dimensions questionne aussi le rapport de notre corps à la sculpture. Le face à face qu’exige ces oeuvres singulières entraîne une expérience elle aussi originale.
« Tout en semblant offrir un espace ouvert à la passivité et à l’arrêt, le jardin Zen, comme les œuvres de Roger Ackling, conduisent à une déambulation mentale libre et sans but précis. Les œuvres révèlent l’ordre complexe de ce qui est déjà là et dans lequel nous sommes impliqués. »