En 2012, Marianne Marić, mue par le désir d’en savoir plus sur son histoire familiale, choisit de partir vivre cinq mois à Sarajevo. Elle découvre la ville et approfondit sa connaissance de l’histoire de la Yougoslavie et des circonstances de la guerre de Bosnie. Marianne Marić réalise alors des photographies où elle met en scène les corps dévêtus de jeunes femmes rencontrées sur place, comme de ses amies venues lui rendre visite. Aujourd’hui, à l’occasion de son exposition Filles de l’Est, présentée à la Filature à Mulhouse, Marianne Marić publie aux éditions Médiapop, Rose Sarajevo, un objet photographique singulier témoignant de ce voyage initiatique.

Rose Sarajevo est d’abord un objet éditorial à la forme nostalgique et décalée. Il s’agit d’un carnet de dix cartes postales détachables, formant un leporello. On pense à ces petits livrets du même type vendus autrefois et parfois même encore aujourd’hui sur les sites touristiques du monde entier. Sarajevo en dix images, des souvenirs de guerre ou plutôt des traces de l’histoire yougoslave et de la vie qui y reprend son cours. Cette forme inhabituelle pour la photographie artistique permet un montage spécifique entre les images. Il n’y a plus ce rapport, caractéristique du livre de photographie, qui oppose deux images entre elles.

On peut se permettre de déplier toute la série, l’œil se baladant inlassablement. On passe d’une image à l’autre, de la vacance ensoleillée à l’Histoire européenne, d’une jeune femme en débardeur échancré et fleuri, la peau hâlée, un chapeau à ruban sur la tête, assise sur une terrasse, à la photographie des pistes de Bobsleigh tagguées, celles qui ont accueillis en 1984 les jeux olympiques puis qui ont servi quelques années plus tard à assiéger la ville. Une jeune femme, nue, espiègle, le visage tourné vers le ciel, urine sur cette architecture historique.

Une autre photographie, celle qui ouvre le carnet représente une fille en culotte en équilibre sur le canon d’un char. On imagine parfois la difficulté lors de la prise de vue, toute la confiance qui existe entre Marianne Marić et les jeunes femmes qui posent, afin de rendre ces clichés possibles. La légèreté est une illusion, il y a toujours quelque chose au-delà. L’ours empaillé est le symbole fétiche de Tito, la jeune fille devient celui d’une rencontre, d’un renouveau. La peinture de Tito et les armes sont là, comme rappel d’une histoire qui avance et laisse place à la jeunesse ordinaire, belle, aventureuse et espiègle. Si les roses de Sarajevo désignent les impactent laissés par la guerre dans la ville, Rose Sarajevo inspire une nuance ambiguë sur fond d’oxymore. Se tissent ainsi au sein de ce carnet, un savant mélange entre humour, nostalgie, provocation et érotisme.