Formée aux arts appliqués puis à l’Ecole cantonale d’arts de Lausanne, Sandrine Pelletier nourrit une fascination pour la plasticité de la matière qui dépasse le simple intérêt pour l’effet ornemental. En engageant ses matériaux (bois, textile, verre, céramique, faïence) sur la voie de leurs métamorphoses, elle rend tangible l’inéluctable avancée du temps, son potentiel d’entropie, en même temps que les projections mentales (spirituelles et psychologiques) qui cherchent à lui donner sens. Les paysages de ruines et les scènes désolées forment ainsi le décor d’un théâtre de la vie qui négocie avec le moment de sa fin comme avec ses catastrophes annonciatrices. Donnant corps à une esthétique du post-accidentel, son travail articule une dimension esthétique (la déchéance de la vie matérielle) à une autre symbolique (une mystique de la résistance à la destruction) pour proposer une façon de remédier par l’art à la finitude de l’existence.
A première vue, l’œuvre de Sandrine Pelletier manifeste un goût certain pour le crafty, l’expérimentation formelle et matérielle, qui évolue à travers son œuvre. Des broderies de ses débuts aux plus récentes calcinations de bois, de verre et aux explosions de céramiques, la sculptrice s’est peu à peu détachée du régime de l’objet pour étendre sa réflexion à l’espace, créant des installations et des sculptures monumentales in situ. Privilégiant l’observation des processus physiques au regard fonctionnel du designer, elle a recentré son travail sur l’expression des énergies brutes (forces telluriques, d’inertie ou de pression, déflagration ou gravité) qu’elle manipule dans des compositions en volume semi-figuratives, flirtant avec l’abstraction. Le rendu plastique privilégie l’étrange, voire l’inquiétant, jouant sur des effets de miroitement, de transparence, de fusion ou encore d’anamorphose qui compensent la noirceur de l’ensemble, aux accents faussement nihilistes.
Le formalisme de façade est en effet toujours sujet à une lecture plus conceptuelle. Sandrine Pelletier trouve dans ses sculptures l’occasion de réinterroger les récits culturels d’une manière iconoclaste et de repenser l’autorité de leurs discours. Inspirée par les légendes, les dogmes théologiques, les écrits spirituels ou la littérature, elle investit les états de matière qu’elle produit d’une force d’évocation nouvelle. Des Chevaliers de l’Apocalypse à Narcisse et Goldmund d’Hermann Hesse, elle puise ainsi dans les iconographies collectives pour mieux en troubler la lisibilité, leur conférant une dimension incertaine et énigmatique, à la mesure du mystère de la vie. Chaque métamorphose matérielle équivaut chez elle à un rite de passage réifié, réduit à l’état de chose, tandis que chaque symbole emprunté (pentagramme, croix, étoile, arbre de vie…) réinjecte une part de spiritualité dans des corps inertes, et les anime d’un nouveau souffle.
Ce réinvestissement symbolique, qui réaffecte les objets, trouve alors sa parfaite image dans l’épreuve du feu, élément privilégié par l’artiste. Des incendies dévastateurs de la guerre aux immolations régénératives du phœnix, le motif de la combustion donne forme à une plasticité destructrice, qui tire autant profit de la perte de la forme (la défaite de la tenue, la labilité de la structure) que de la possibilité d’une renaissance. Tasseaux brûlés et poutres calcinées, œuvres au fusain ou au charbon, four à céramique explosé en pleine nature, les formes investies par Sandrine Pelletier éprouvent la façon dont les matières se réorganisent ou se réinventent après un événement destructeur.
Ses premières œuvres filaires expriment en se sens une volonté de raccommoder les formes déchues, à l’aide de fils naturels (racines, branches, lianes, lierre) et synthétiques (broderie, pattern digital, fil de fer), son travail sur les sous-cultures explore le lien entre violence sociale et stratégie de survie, quand ses pièces carbonisées indiquent comment souffrir avec panache et se remettre de ses blessures. Dessinant une nouvelle eschatologie, une autre vision de la fin des fins, la plasticienne aménage dans ce paysage plastique, tout en ruines et en éclats, des chemins de métamorphose, comme autant de voies vers une possible résilience.
Florian G