Exposition Sarah Dwyer : Slugger
16 octobre - 30 novembre 2024
Galerie Brigitte Mulholland
81, rue de Turenne
75003 Paris
Le choix des peintures de cette exposition est représentatif de diverses pratiques spécifiques du travail de Sarah Dwyer. Cette artiste d’origine irlandaise est née en 1974, elle vit et travaille actuellement à Londres mais reconnait des liens forts avec la France et l’Amérique. Son travail se situe dans la lignée des mouvements expressionnistes qu’ils soient figuratifs, abstraits ou dans la suite des artistes de CoBrA. Dans toutes ses peintures l’artiste travaille la mise en mouvement de l’espace du support, toile ou papier, par des gestes maniant les pinceaux ou des pastels à l’huile. Cela lui permet une mise en place subtile des couleurs parfois saturées en même temps qu’une structuration inventive de l’espace du tableau. Si les étendues colorées sont majoritaires, on remarque aussi la présence de diverses formes de dessin, allant du geste scriptural, du contournement des formes et aussi la mise en place de tracés structurant les compositions variées. Oui, c’est peut-être à cela que l’on reconnait une grande artiste peintre : elle ne néglige rien.
Sarah Dwyer se lance corps et esprit dans la transformation de l’étendue plane du support pour y installer un espace qui mêle des figures abstraites et des allusions à des éléments naturels ou corporels. Le titre de l’exposition Slugger et texte de présentation de la galerie signale un contexte familial particulier. Un Slugger est un type de boxeur qui domine le ring grâce à sa force. Il dicte le rythme et l’action du combat. Sarah Dwyer, fille d’un boxeur irlandais, constate qu’il est possible de rapprocher l’art pictural et « noble art ». Elle constate la possible transposition de ce sport dans le domaine artistique : elle sait effectivement contrôler sa gestuelle créative et ainsi commander physiquement l’espace de la peinture.
Bien que l’on sente qu’elle s’inspire de choses vues, sa trituration du magma pictural ne favorise pas l’identification de la référence à quelques réalités reconnaissables. On croit voir ici un dos, là un œil ou encore un paysage campagnard (Irish Goodbye, 2024). Cela favorise ou relance le questionnement du visiteur. Par delà ces potentielles identifications, l’important est que l’artiste parvienne à faire surgir des signes plastiques à forte présence qui entrainent le regardeur vers des significations inattendues. Dans l’action les gestes génèrent, presque naturellement, de nouveaux gestes qui finissent par élaborer un style personnel que l’on constate chez cette artiste, même lorsqu’elle crée des volumes.
Dans cette exposition toutes les toiles (sauf une : Jaz at Hauser, 2024) semblent pouvoir se prolonger par tous les bords du support. Ce ne sont pas à proprement parler des all over puisqu’il y a souvent une ou plusieurs figures majeures qui guident notre découverte. Mais cela signale que ces peintures n’ont plus l’intention de constituer des petits mondes dans un petit espace, comme cela se faisait depuis la Renaissance et jusqu’au milieu du XXe siècle, mais juste de donner à voir des fragments de monde. L’artiste les espère réussis pour la plus grande satisfaction des regardeurs et c’est ce que l’on ressent.
L’usage du tracé vigoureux avec un gros pastel qui pénètre la couche picturale est devenu une caractéristique singulière de ces créations. À côté des étendues picturales en mouvement, on constate souvent la présence de tracés fins colorés qui courent à la surface de l’œuvre. C’est le cas des tracés vermillon dans South Paw, 2024 ou Cueilleur de coques, 2024 ou la reprise en divers verts pour Irish Goodbye, 2024. Ce type de dessin accompagne la répartition colorée sans être distribuée dans tout l’espace de la toile. Tout menu qu’il soit, ce tracé supplémentaire souvent de couleur vive bouleverse l’espace de la peinture. Le dessin additionnel s’avère une formidable machine de réversion, capable d’installer dans l’œuvre et par voie de conséquence dans l’œil (et l’esprit) des regardeurs de nombreux et fructueux questionnements. La fine marque pourtant bien visible est bien l’attestation d’un passage supplémentaire, la confirmation quelque chose y a eu lieu. Elle n’en reste pas moins une énigme posée à la peinture et aux regardeurs. Les étendues colorées et les traits jetés avec ou sans projet font remonter tout à la fois des histoires personnelles et des figures qui existent au préalable dans la culture du créateur.
Les peintures de Sarah Dwyer exposées dans la galerie Mulholland ont le grand mérite de nous faire voyager dans son monde qui s’avère être, ou pour le moins d’avoir aussi été, le nôtre.