Sauver Venise, une utopie baroque

Demosthene Agrafiotis , poète grec développe de nombreuses pratiques de création contemporaines qui le font se définir comme artiste intermédia. Dans son dernier livre publié par l’Harmattan il s’attache à Venise comme ultime métaphore de la crise qui menace toutes sortes de pays dont le sien. Mais « plus Venise lutte, plus les touristes qui la visitent accélèrent sa submersion ». Telle est l’ambiguïté du projet artistique qu’il développe pour rendre visible le scénario catastrophe d’une disparition depuis longtemps annoncée et toujours encore repoussée.

« Il ne s’agit donc pas tant de sauver Venise (des eaux, ou même du tourisme international), de ressasser la mélancolie de ce luxe évanoui qu’elle nous inspire ou d’en restaurer la gloire ancienne comme le voudraient certains, mais d’accepter cette invitation permanente qu’elle nous lance à une fête de l’esprit. Une ville vivante, et pas moribonde du tout, mais vivante comme le serait une vision insistante et suspendue entre le temps et l’éternité »
Norbert Hillaire La réparation Nouvelles éditions Scala

Profitant de la présence du texte français à gauche et sa traduction grecque à droite, l’auteur développe une mise en page très dynamique qui joue souvent sur des images appartenant à une même série ou prises dans une proximité temporelle. D’autres images sont recadrées selon des formes géométriques, circulaires, triangulaire ou carré. Pour rappeler le flux de l’eau d’autres images sont détourées suivant le mouvement des vagues. Celui-ci est aussi représenté par des dessins au trait en noir sur fond blanc qui entrent en synergie avec les vues photographiques couleurs.

Beaucoup d’images retravaillent des reflets dans l’eau ou des affleurements d’éléments architecturaux à sa surface. Elles entrent en dialogue avec des vues de bas-reliefs et de figures emblématiques se détachant sur des murs et leurs graffitis.

Avec humour l’auteur imagine une solution venant de l’action extraordinaire de tous les anges figurant sur les nombreuses peintures classiques et baroques pour exercer une action commune consistant à relever l’ensemble de la ville d’une dizaine de centimètres susceptible de la tenir à flot. Il caractérise cette action comme « fantasmagorie performative ».Il en conclut « la période post-vénitienne de l’histoire commence, et c’est l’ère des anges. »

Une réaction possible serait la libération de musiques des plus grands compositeurs maniéristes et baroques qui s’élevait de la lagune.Cette solution aurait le mérite de se faire sans consommation d’énergie ce qui ne pourrait qu’interroger scientifiques et politiques.
La coordination de leur action se ferait sur le modèle d’un Tableau du Tintoret Le jugement dernier situé dan l’église de la Madonna Dell’ Orto. Cette action en autogestion aurait été facilitée par leur évolution au sein de divers triomphes et apothéoses « ouvrant les plafonds des églises et des palais vers les confins du ciel ».

Mais l’utopie trouverait son propre épuisement et la situation redeviendrait aussi inquiétante. Du coup une autre hypothèse poétique est avancée celle d’une action d’un jeune magicien Joseph Cheesterfield sous forme d’hyper spectacle , liant nanotechnologies et recherches holographiques sur la lumière, dont le coût serait assumé par des financements chinois et coréen pour se placer sur ce nouveau marché international d’un néo-baroque de la communication. Le spectacle entre expérience scientifique et projet artistique permettrait de « stimuler le désir des habitants pour des entités fantomatiques , comme le sont les anges, les demi-dieux et toutes leurs représentations. »