La règle aujourd’hui, y compris pour ses débordements médiatiques, parie le corps en coma de norme image, que reste–t-il de sa forge d’art ? Le corps n’est pas pure notion désirante, il s’écarte à loisir de ces règles, entre autres, quand le montré du doigt devient monstre laissant place à la fuite de ses images. Pour évacuer la domination du goût qui résulte du bon sens s’affirmant rien moins que doxa il faut au mieux quelque coup d’éclat.
Mais de quoi faut-il donc par ce « coup de grâce » abréger la souffrance ? C’est probablement d’une certaine image du corps, baguenaudée par la vulgate du tout-média dont il faudrait qu’un geste – définitif donc ? – nous défasse. Le geste pictural seul peut-il aujourd’hui posséder cette déflagrante saisie, cette radicale instance de décision. Ou bien, dans la cour des grands de l’image corporelle, peinture et vidéo doivent elles entrer en compétition, quand depuis vingt ans au moins le corps reste otage du cadre photographie ? D’autres scènes s’y profilent dans la profondeur de l’espace œuvre.
Dan Barrichasse dans ses peintures décolle l’image de la prégnance fluide de son matériau. Ici se donne à lire une présence en deçà des couches palimpseste que masquent ces « Poussières d’ombre ».
Ce qui fait écran dans leur masse noire tient de la trace corporelle en décomposition, derrière leur à plat incertain ça grouille de vie charnelle qui répond dans son irridescence à la question :
« pourquoi une chair d’ange
pousse-t-elle parfois
sur la paroi du souffle »,
urgence posée par Bernard Noël dans « Le reste du voyage ».
La réponse de Laurent Goldring s’effectue au contraire en sortie du fond noir de l’espace studio en une capture où les corps s’articulent au défaut de leur logique organique pour de nouvelles fonctions. Le poète dans le même recueil semble en approcher ainsi l’espace éclaté :
« le corps est un présent toujours incomplet
sa propre unité s’égare au fond de lui
dans l’amas viandeux de sa continuité
tout lieu organique est un lieu de passage ».
Ecarts de ces œuvres qui ne sauraient rester orphelines dans l’histoire récente de l’art. Les corps sculptés dans la lumière utérine du studio vidéo fraternisent avec ceux devenus statues de lave au pied du Vésuve pour des pionniers italiens de l’analogie argentique, d’autres gardent distance critique avec les sortis du bordel de l’atelier Bacon, tandis que d’autres semblent issus du ciseau d’Henry Moore.
En même temps ils sont plus charnus, plus sexués dans l’indifférenciation de l’organe, ils battent comme des
Sur un mode inédit ces corps se restructurent hors d’une logique fonctionnelle organique qui les projette dans un destin façon poupées de Bellmer, mais par trop charnels. Totalement incarnés ces corps vivent loin de tout drame leur humanité sans tête. Leur apparente fragilité se trouve contredite par une insolente beauté, quand ils restent ainsi non socialisables, vierges de toute visée opérationnelle. Les aperçoit-on intouchables ils se donnent aussitôt de grands airs de séduction appelant des caresses qu’on veut elles aussi inédites.
L’un comme l’autre font confiance à une certaine logique de la matière propre au support, de sa fluidité contrariée par l’arrêt du geste artistique. Tous deux travaillent dans l’angle mort de la vision, là où ce qui échappe du corps peut soit faire chorus soit faire masse dans sa découverte toujours retardée. Il y a une prise en compte de l’accidentel dans ces œuvres qui signent paradoxalement leur pleine maîtrise dans le cadre. C’est là que la logique spécifique à chaque médium, l’intériorité exacerbée du matériau, nous fait le coup de la grâce. Nous y succombons dans la reconnaissance détournée du corps aimé, dans nos retrouvailles quand il devient pure fluide présence, ou sculpture de désir étrangement combinée à l’articulation de notre regard sur sa proximité troublante.