Juge à la cour d’appel de Dresde, le Président Schreber s’effondre nerveusement en 1893. Interné, il témoigne dans un unique ouvrage, les Mémoires d’un névropathe, de l’effritement du monde et de la disparition de l’humanité remplacée par une profusion d’hommes bâclés à la 6-4-2. Avec la notion de meurtre d’âme, il décrit une forme de contrôle psychique s’apparentant à la téléhypnose et remettant en cause la vision traditionnelle de la conscience. En décrivant sa transformation en femme (qu’il nomme éviration), il met à mal la notion policière d’identité. Enfin, en clamant haut et fort sa crainte de l’usage possible de la crémation par le pouvoir exécutif, il voit – plus de quarante ans avant tout le monde – le désastre d’Auschwitz se dessiner en filigrane de l’Histoire du peuple allemand.
Avec les Mémoires d’un Névropathe du Président Schreber, ne serions-nous pas passé à côté d’un texte fondateur du vingtième siècle, périodiquement réédité au seul usage des cliniciens depuis maintenant plus de cent ans ? C’est le constat sévère que dressent les auteurs de Schreber Président (Fage éditions) en proposant des pistes de lectures inédites qui permettent au lecteur non spécialiste et curieux de voir pour lui-même un écrit soigneusement marginalisé depuis sa publication en 1903. Les écrivains et artistes qui composent ce collectif ont en effet pris le parti de sortir les Mémoires du rayon psychanalytique afin de les ranger plus haut parmi les œuvres des écrivains et poètes visionnaires : quelque part entre Lucrèce, Strindberg, Panizza, Kafka, Artaud et Philip K. Dick.
Rédigés par des auteurs tels que Jean-Luc Coudray (Les histoires de Monsieur Mouche), Jean-Louis Poitevin (Robert Musil – La Cuisson de l’Homme) ou Pacôme Thiellement (Economie Eskimo – Le rêve de Zappa), les essais qui composent Schreber Président ne sont pas une simple défense de « l’inconnu Schreber ». Ils dégagent les lignes de fuite de sa pensée en montrant en quoi celle-ci est résolument moderne : à travers le drame de Schreber, c’est également le télécontrôle, l’assignation identitaire, le global-stress ou l’omniprésence importune des médiateurs et des stars qu’ils commentent et critiquent avec un humour rageur.
La force plastique de « l’ordre anarchique » vécu par Schreber a également trouvé une forme parmi les nombreuses contributions de peintres et dessinateurs de bandes dessinées qui accompagnent les textes du Schreber Président. Parmi ceux-ci on peut citer notamment Scott Batty (Peeling Angels), Killoffer (676 apparitions de Killoffer), Got (Le Baron Noir) et Jean-Christophe Menu (Le livre du Mont-Vérité). Qu’est-ce que la folie « Qu’est-ce que la politique » Qu’est-ce que la poésie « Qu’est-ce que l’art » Après Schreber Président, les réponses que vous pourrez donner à ces questions ne seront plus tout à fait les mêmes…