L’art contemporain urbain a trouvé sa légitimité depuis une vingtaine d’années, accueilli dans différentes galeries spécialisées ou non en Europe et dans des institutions internationales. Si beaucoup de ces pratiquants se rattachent au graffiti, au design graphique, à une tradition de la peinture figurative utilisant le bombage, le pochoir ou le collage peu d’entre eux se consacrent à la photographie sous une forme ou une autre. L’exposition Scratches de Dominique Auerbacher présentée à la Maison Européenne de la Photographie constitue donc une exception digne d’intérêt étant donné l’œuvre protéiforme de cette artiste.
Dominique Auerbacher travaille sur l’impossibilité aujourd’hui d’une représentation du paysage. Elle cherche donc différents protocoles ou subterfuges plastiques susceptibles d’y remédier. La Maison Européenne de la Photographie accueille Scratches terme de dj où l’on entend grincer les paysages berlinois à travers les graffitis sur les vitres des trams.
On peut envisager cette série d’un point de vue esthétique comme une relecture actualisée de la peinture informelle, dans ses manipulations gestuelles ou a contrario comme la mise en lumière radicale d’une pratique contre-idéologique, difficile à récupérer dans un autre champs.
La demande de l’artiste de faire peindre les murs de la salle du premier étage de la MEP aux couleurs vives de la société de transport berlinoise reste dans la même hésitation entre pictural et social. Pour mieux trancher entre ces deux directions on peut se référer à d’autres séries de l’auteur.
Scratches a été précédée par une version plus orientée politiquement exposée l’an dernier pour le Mois Européen de la Photographie au Luxembourg, elle faisait directement par son titre référence à un article de l’écrivain juif allemand communiste Friedrich Wolf L’art est une arme.
Par ailleurs on connaît les penchants de l’artiste pour les carnets de voyage d’un côté et pour les topographies écrites de l’autre. Cela a constitué la base de sa dernière installation au Frac Lorraine à Metz, intitulée « Reliefs polaires ». S’y mêlaient un grand nombre d’images des pôles , nord et sud, et un paysage de phrases stratigraphiées, phrases de différents récits de voyages de nombreux auteurs. Elle y faisait se côtoyer les citations du célèbre explorateur Jean Malaury et celles d’un Pier Kirkeby dont on ne doit pas oublier la formation de géologue.
Dans un dispositif proche, mais invitant à une lecture horizontale dans la lumière des portes fenêtres du domaine de Chamarande « Reliefs » s’organisait en une cartographie textuelle installée sur des socles, évoquant une chambre d’hôpital où un père se meurt. Le déchiffrement des différentes sources textuelles correspond à notre lecture difficile du paysage urbain au travers des dispositifs anti-graffitis posés sur les vitres et par leur remise en question par les graffeurs.
L’installation Hypocondrie regroupait de nombreux blisters de médicaments dans lesquels l’artiste avait introduit des petits personnages en plastique portant des bagages. Elle les a ensuite reproduits photographiquement. Les liquides colorés et les alvéoles de plastique y jouent le même rôle médiateur que les graff scratchés sur les trams. La mise à distance qu’ils opèrent font que les corps ont perdu leurs dimensions dans cet espace protégé comme dans les grandes villes européennes.
Si l’on devait encore trouver d’autres liens logiques à cette série au cœur d’une pratique on peut se souvenir de l’installation que Dominique Auerbacher a produite sur le chantier d’un viaduc pour un train à grande vitesse dans le nord de l’Italie à la demande de Linea di Confine. Alors que partout en Europe on produit à la chambre des images de paysage sans qualité sinon leur forme tableau le postulat de l’artiste qui remet en question la possibilité même d’une telle pratique aujourd’hui l’amène à des réussites plastiques à portée politique d’une réelle originalité.