Alors que la huitième édition d’ Artistbook International – le salon européen des éditions d’artistes : multiples, ephemera, vidéos, livres d’artistes – vient d’être annulée au Centre Pompidou, à Paris, pour cause d’une grève motivée du personnel, une trentaine d’institutions culturelles partenaires, publiques et privées, en Île-de-France et en régions célèbrent en ce week end du 4 au 6 décembre l’édition d’artiste (CNEAI, Musée des arts décoratifs, …). Dans ce cadre nous avons choisi de passer au crible un projet éditorial singulier : la collection Sec au toucher des éditions P, collection menée par Denis Prisset, créateur des éditions, et Stéphane Le Mercier.
Une collection
Collection phare des édition P, Sec au toucher se distingue des livres hors collection par un jeu de contraintes graphiques : 20×27 cm, 32 pages maximum, dos agrafé, 150 exemplaires, impression laser noir et blanc, papier offset luxe. Les projets touchent aussi bien le domaine de la photographie documentée que celui du dessin.
Quatre titres forment aujourd’hui cette collection : Pots de Cristof Yvoré, Dessous de Pablo Marcos Garcia, Noëlle de Denis Prisset et Baccarat Split de Josué Rauscher. Elle s’enrichira pour le salon d’un cinquième livre, Équinoxe de Gérard Traquandi, puis en 2010 des propositions avancées de Guillaume Pinard et Jochen Lempert.
Un regard-inventaire dans les profondeurs de la surface.
Le principe de cette collection est celui d’un regard porté sur une personne, une série d’objets ou des oeuvres graphiques. Les images produites ne le sont pas pour l’exposition mais bien plutôt pour être assemblées sous une forme éditoriale. L’enjeu est de porter sur un « objet » un regard-inventaire, en proposant une organisation sérielle peu ou pas narrative.
Malgré la diversité des points de vue, c’est bien une sorte de regard commun qui fait l’unité de cette collection. En effet, les images sont issues d’un regard qui scrute, d’un regard qui constate, d’un regard qui frôle la surface, d’un regard qui sait aussi pénétrer cette surface pour en faire remonter non tant les secrets que les ombres cachées, les strates écrasées, les souvenirs enfouis, les lignes d’avenir restées à l’état d’embryon.
Un tel parti pris n’est donc pas respectueux de la gestalt de l’objet photographié. Au contraire, par le jeu de la série comme par celui de la prise de vue, il s’insinue dans les détails, allant jusqu’à tailler dans la masse de l’objet ou de l’oeuvre reproduite, comme dans le cas du livre de Cristof Yvoré.
L’inventaire peut tendre vers l’absurde comme dans le livre de Josué Rauscher. En effet, cet hommage à la culture populaire (il s’agit d’un ensemble de napperons en dentelle), s’il convoque la mémoire, (rappelons ici Céline, évoquant dans un entretien sa connaissance des différents types de dentelle des régions du nord), fait aussi sourdre de ce passé le plus souvent enfermé dans les armoires de l’oubli une sorte de trouble comme on peut toujours en éprouver devant une collection personnelle. L’oeuvre montrée jusque dans l’intimité de ses structures géométriques peut se révéler, elle, presque indécente.
Livre d’artiste et donc œuvre à part entière les ouvrages de la collection Sec au toucher nous convient à des voyages dans des strates souvent laissées de côté par notre perception.
Ils captent notre attention et la dirigent vers des zones inframinces qui se révèlent porteuses de « mondes en soi ».
Equinoxe, l’ouvrage de Gérard Traquandi, montre un ensemble de dessins représentant saison après saison différents arbres.
Par un jeu de recadrage, les feuilles l’été apparaissent sous forme de bouclettes et les branches nues de l’hiver, de stries recouvrant l’ensemble de la page.
Un zoom arrière nous révèle « de quoi » finalement les images sont faites, mais il nous est alors impossible d’effacer l’impression produite sur nous par la structure même du dessin dans laquelle nous avions précédemment pénétré.
Sec au toucher est une collection qui nous conduit dans ces strates de la mémoire et de la perception pour lesquelles le temps et l’histoire n’importent guère. Nous voyageons dans un monde où la narration est suspendue et c’est, peut-être, cette sensation de suspens qu’il fait naître en nous qui constitue le véritable « sujet » des œuvres de la collection.