« Shaking Horizon » vs « GOLDBARRGOROD »

Dans la continuité de la programmation initiée par Eric Mangion depuis 2006, qui s’appuie sur deux principes d’expositions, thématiques ou monographiques, la Villa Arson accueille actuellement Roman Ondák pour « Shaking Horizon » et Nicolas Moulin avec « GOLDBARRGOROD » associés (bien que dissociés dans l’espace) pour leur réflexion commune sur l’architecture. Outre la programmation estivale du centre d’art, les deux artistes ont partagé une résidence à la villa depuis le printemps 2010 afin de préparer leurs expositions respectives.

« Shaking Horizon » est une proposition rétrospective de l’œuvre de Roman Ondák. Elle couvre une période de création allant de 1992 à 2010 et occupe les galeries labyrinthiques du patio et des cyprès. Une série de pièces ont été repensées pour l’espace d’exposition, de manière plus ou moins perceptible tant elles s’intègrent à celui-ci (« Window », 1997) et pourraient aisément passer inaperçues (« Room Extension », 2000). Elles créent une porosité entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment (« Breath on Both Sides », 2009), varient en fonction de la luminosité extérieure (« Site », 2003/2007), guident le regard du spectateur qui sait les voir, vers des recoins, le détourne des salles d’exposition vers les jardins. Au-delà de la préoccupation architecturale, c’est un principe de réalité fondamental qui est posé, dans la continuité de la salle centrale (à l’intersection de la galerie supérieure et inférieure de l’exposition) consacrée au « Virtual Museum of Contemporary Art », composée entre autre d’une plaque de marbre brisée au sol, de posters, et de l’installation « Site ».

Ce principe de réalité prend chez Nicolas Moulin, une toute autre forme, une tout autre signification, empruntée à la science-fiction de J.C. Ballard et Phillip K. Dick. Une citation de ce dernier reprise par l’artiste : « la réalité dépend d’une question de points de vue » que l’on retrouve notamment dans des séries de travaux antérieurs « NOVOMOND » (1996-2001) est, de ce point de vue, explicite. Mais on pourrait lui préférer cette autre phrase : de l’auteur « La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire ». Elle est issue de son livre SIVA (1980), et s’accorde bien avec l’installation unique « GOLDBARRGOROD » réalisée à la Villa Arson, dans les 300m2 de la galerie carrée.

« GOLDBARRGOROD » est une cité composée de carcasses d’ordinateurs désossés, nettoyés et redéployés dans l’espace, dans la continuité de son esquisse réalisée en 2008 pour la galerie Chez Valentin et du travail en volume réalisé plus récemment encore pour « Interlichtenstadt » (pièce présentée notamment pour l’exposition des nominés au prix Marcel Duchamp 2009). Pour tout visiteur familier du travail de Nicolas Moulin, lecteur de littérature de science-fiction, connaissant les mathématiques et qui serait de plus polyglotte, l’énigme du titre « GOLDBARRGOROD » peut être résolue. Pour l’heure, on se contentera de quelques indices : un écho du nom d’un mathématicien allemand, ayant inventé une théorie des nombres premiers et la transcription du mot « ville » en russe.

Cité vidée de ses données, de son contenu, il ne reste de « GOLDBARRGOROD » que des vestiges, un style architectural sans fonction, à l’instar de ces bâtiments brutalistes grandeur nature que l’artiste a photographié pour sa banque d’images en 2007 à Berlin dans le quartier de Lichtenberg ou bien encore l’an passé en Angleterre, où de l’ambitieux complexe de logements brutaliste de Sheffield il ne reste plus que le squelette de Hyde Park (aujourd’hui classé). Ce style brutaliste, on le retrouve jusque dans l’architecture du centre d’art de la Villa Arson, pensée dans les années 60 par l’architecte Michel Marot. Et bien au-delà de toute contextualisation, ce dispositif nous renvoie plus littéralement au concept d’unité d’habitation de Le Corbusier, qui n’a pas été sans influence sur le style brutaliste, avec l’idée d’une extrapolation en « unité centrale d’habitation ».

Bien loin de toute velléité utopique, c’est plutôt dans la dystopie et l’uchronie que Nicolas Moulin œuvre. Pour lui, « l’acte de construire chez l’homme est un acte métaphysique », emprunt de gigantisme où il n’est pas complètement irréaliste d’imaginer une société future composée d’automonuments (l’artiste cite volontiers l’architecte Rem Koolhaas), c’est-à-dire des bâtis géants se suffisants à eux-mêmes, en dehors de toute fonctionnalité, que l’homme aurait déserté pour être nomade, de la même manière que l’homme est absent des compositions de l’artiste. Cette pensée nous renvoie tout autant aux séries des « Panclimn » de 2006, des « Temerickturndsmal » de 2007, ou des « Wenluderwind » de 2009, qu’au décor de « La vérité avant-dernière » (Phillip K. Dick, 1964), à l’heure où la concentration urbaine atteint un niveau jamais égalé dans l’histoire de l’humanité.