Sites et blogs artistiques : quand le Web tisse de nouveaux réseaux…

Récemment, à la télévision, un journaliste évoquait le « phénomène de mode des blogs » dans lesquels de plus en plus de Français se livrent ? En cette période de campagne électorale, ceux des candidats se sont multipliés : la presse désigne à juste titre cette campagne comme la première « Netpolique » en France. L’on va même jusqu’à titrer qu’il s’agit d’une véritable « bataille du Web » (L’Humanité, lundi 8 janvier 2007) Mais, à ma connaissance, personne ne s’est penché sur le développement tout aussi exponentiel des sites et des blogs à vocation artistique.

Le blog ou le paradoxe de l’intime rendu public ?

« La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient. »

(Gabriel. G. Marquez, Vivre pour la raconter, 2002)

On sait que, depuis toujours, les journaux intimes ont été rédigés avec l’espoir secret que quelqu’un trouve un jour la clef permettant d’ouvrir le fermoir et accède ainsi aux replis les plus secrets de notre vie fantasmée (j’emploie ici « fantasme » sans connotation péjorative, bien sûr). Voilà ce qui me semble en jeu, de manière plus ou moins consciente, dans ce « phénomène ».

J’ai moi-même crée mon blog durant l’été 2006. Je le considère, comme je l’annonce dans celui-ci, non pas comme un journal intime au sens habituel du terme, mais plutôt comme le journal intime de mon activité créatrice, ou encore le journal intime de ma réflexion. C’est un atelier, un carnet de notes visuelles et littéraires, dans lequel je n’ai pas l’intention de révéler les aspects factuels de ma vie quotidienne (ou alors occasionnellement, et de manière très allusive). Car je considère que ma vraie vie réside avant tout et depuis longtemps dans les mots et les images, les miens et ceux des autres.

En voici un premier extrait :

laquo ; We never have enough film and enough time !

«  We never have enough film and enough time ! «  , déclara ce touriste américain après avoir photographié un paysage de Capri.  » On ne reviendra peut-être pas…  » surenchérit à mes côtés Anne-Marie qui tenait dans ses mains son appareil compact. Je lui rappelais alors que, pour ma part, j’avais depuis longtemps décidé de ne plus réaliser de photos souvenirs (sauf quelques photos ironiques et malgré tout sentimentales, jouant avec les codes de telles images&), mais seulement des photos relevant de mon travail artistique.

[…]

Mais en déclarant que mes photos n’étaient pas des «  photos souvenirs « , j’avais tort, j’en suis conscient aujourd’hui. Elles le sont toutes en réalité, et ma conviction à ce sujet n’a été que fortifiée par le classement et le tri, ces dernières semaines, de mes dix années de production passée. Ce sont la plupart du temps des Littoralités (photos de littoraux et zones portuaires) prises à l’occasion de voyages accomplis avec Anne-Marie – c’est elle qui m’a initié à cette notion de voyage qui m’était complètement étrangère, je ne connaissais que la notion de vacances, ce qui n’est pas tout à fait ni même du tout la même chose ! Ces paysages sont tous, malgré moi, des fragments d’un journal intime, bien qu’il ne s’agisse pas de mon intention première& »

(extrait du texte téléchargé le 20 oct. 2006)

Et un deuxième extrait :

« « chiquenaude » ou « pichenette » ?

(« Littoralité » [Ulysse], Var, juillet 2006. Photo Yannick Vigouroux)

Quel niveau de langage utiliser pour écrire une fiction littéraire « 

Depuis des années, à la lecture de romans, surtout lorsqu’ils ont été traduits d’une langue étrangère (quel est la fidélité ou l’écart par rapport au terme d’origine, restons-nous exactement dans le même registre de langage) je suis « taraudé » par des questions comme :

– faut-il préférer « chiquenaude » à « pichenette » »

– « croc-en-jambe » à « croche-pied » etc.

Dans le second cas, les termes sont plus proches de ceux utilisés sans la vie de tous les jours, et j’aurais tendance à les préférer.

En photographie, si toutefois le parallèle et possible, mais je pense à la réflexion que oui, je préfère que mes images, argentiques ou numériques, soient le moins retouchées possible sur Photoshop. J’aime en effet les scans brut, qui rendent compte exactement de ce qu’a enregistré l’appareil& Et à ma perception du réel à cet instant précis. »

(texte et photographie téléchargés le 5 sept. 2006)

Une alternative aux réseaux traditionnels de diffusion

Pourquoi un tel essor des sites artistique, un tel engouement pour les blogs ? L’une des raisons est qu’ils sont d’une grande facilité d’utilisation : un internaute néophyte aux compétences moyennes voire très réduites peut facilement élaborer ses pages personnelles, télécharger textes et images. Par ailleurs, il n’a à régler aucun frais d’abonnement ou d’hébergement, aucun frais d’inscription. S’inscrire sur Blogger, ou encore sur Flickr, est totalement gratuit, à condition que l’on ne crée que trois portfolios ou sets et que l’on ne télécharge pas plus de 200 photos. Au-delà, l’adhésion à la formule « pro » représente un coût dérisoire de l’ordre d’une trentaine d’Euros seulement par an !

Face au coût exorbitant de préparation d’une exposition (frais de tirage, contrecollage, encadrement etc., parfois de location des lieux) ou d’un livre qui est très souvent, en grande partie, auto-édité (qu’il bénéficie ou non de subventions, d’aides à la création publiques ou privées), les expositions virtuelles du Web représentent une formidable alternative. Ce support d’expression qui répond, comme jadis les radios libres, à tant d’espoirs libertaires, est aussi interactif : les internautes peuvent laisser des commentaires sur les pages, échanger leurs points de vue, créer et administrer des groupes de discussion – et dans le cas qui nous intéresse plus particulièrement, d’images – ou adhérer à des groupes préexistants. Tout cela avec un sens de la courtoisie et de l’humanisme implicites qui détonnent assurément avec& la vie dite « réelle ».

Initiateur avec Remi Guerrin du collectif « Foto Povera », j’ai constaté, lors du dernier salon Paris-Photo (novembre 2006) l’absence de photos prises au sténopé, avec des box ou appareils-jouets en plastique (Lomo, Diana, Holga&). Or ces pratiques, que les auteurs se revendiquent « pro » ou amateurs, connaissent un formidable engouement depuis quelques années. Nombre d’ateliers pédagogiques y ont d’ailleurs recours.

Il existe donc un hiatus entre la production réelle – celle pourtant dite « virtuelle », des internautes -, et la photographie institutionnalisée, autrement dit celle qui a l’honneur des cimaises et est vendue.

Témoigne notamment de la vitalité des productions photographiques « pauvres » le groupe que j’administre, « Foto Povera » avec ses 38 membres et 635 photos téléchargées depuis juillet 06, mais aussi des groupes « voisins » ou « cousins », tels que : « Box camera Revolution » (363 membres ; 20 26 photos), « LOMO » (5974 membres, 63 464 photos), « Pinhole Photography » (858 membres, 3 636 photos) etc. pour ne citer qu’eux. J’ai participé depuis l’été 2006 à pas moins d’une trentaine de groupes s’apparentant à Foto Povera&[tous les chiffres cités datent du 8 janvier 2007].

L’univers photographique des sites et des blogs est donc loin d’être aussi « virtuel » que certains ne pourraient le penser. Ce sont des espaces de liberté inédits, foisonnants, passionnants, expérimentaux& Et si le pire y côtoie parfois le meilleur, les images sont en tout cas moins artificielles que ce que propose un art officiel trop souvent déterminé, rappelons-le, dans la forme et dans le fond, par le goût d’une minorité élitiste de galeristes et d’institutionnels. L’auteur-internaute produit quant à lui ce qu’il a vraiment envie de faire, sans censure, sans être influencé par l’enjeu financier de ses partis pris esthétiques. C’est donc selon moi sur la Toile que se pratique de plus en plus une forme de création exemplaire, tant par sa sincérité et son humilité que son émancipation des contraintes uniformisantes et totalitaires de l’ultra-libéralisme.

Mon blog est consultable sur : http://www.flickr.com/photos/yannickvigouroux/

Je conseille vivement aux internautes de visiter l’autre journal d’une création et réflexion qu’est le blog du Christophe Mauberret, par ailleurs membre du collectif « Foto Povera ». Ce blog est aussi élaboré dans le forme et dans le fond qu’érudit : http://voigtland.blogspot.com/