Si Frank Lamy nous a habitué au Mac Val à des propositions où des déploiements théoriques d’une réelle prégnance circulaient d’oeuvre en oeuvre, d’ « Emporte moi » au récent IFP, Situations vaut moins pour son développement curatorial que par deux vidéos et une installation multi-écrans d’une singulière efficacité. Cette dernière proposition de Frédéric Nauczyciel se détache par sa force plastique.
Si mince apparait le prétexte donné à cette exposition opposant vie privée et vie publique, et déjà tellement exploité. Pour en approcher les temps forts il semble tentant d’opposer deux pièces qui confrontent le vêtement comme marque sociale au XIXe siècle et la protestation nue comme dernier recours de spoliés de leur terre. Chez Jacob Gautel le propos est mémoriel prenant appui sur une photo de son ancêtre Théodora. Il en fait reconstituer la robe d’apparat pour la faire porter à des femmes de différents âges et de différentes races. La double origine ethnique de l’ancêtre oriente le choix des modèles tandis que la rigueur protocolaire de la prise de vue accentue l’approche des différences.
Sur deux écrans Clarisse Hahn nous montre d’un côté les défilés de femmes mexicaines qui se sont mises nues pour protester contre le vol de leur terre par le gouvernement, de l’autre le témoignage de leur cheffe de file, en un entretien documentant la situation. Là où la robe rend ces modèles anonymes, la nudité mexicaine redonne identité et dignité.
Deux autres pièces importantes de ce dispositif muséal répondent peut être plus au titre et à ses paramètres topologiques mais au coeur d’une géographie humaine. Les deux artistes interviennent autour d’une idée très contemporaine de la danse. Mélanie Manchot revendique ce champ dans son titre qui sonne comme un hit d’après le disco ( le film Dance machine en est à sa quatrième saison !) « Dance all night ». Point de musique pour le visiteur qui se contentera des frottements de souliers sur le sol d’un préau d’école enluminé de guirlandes, et du froufrou de quelque robe plus longue qui ajoute son bruissement à ce martellement de pas. Seul ou en couple chaque danseur, tel un présentateur d’infos télévisés, est doté de son oreillette
Toutes ces danses de salon ou leur version club se côtoient sans se toucher ni ne jamais faire unisson. L’artiste alterne de nombreux plans généraux à hauteur de danseurs avec le contrepoint d’une plongée sur la piste improvisée. La physicalité de la danse renvoie chaque participant amateur ou non à un vocabulaire restreint de pas et de postures très identifiés, si proches du cliché.
La pièce la plus complexe qui mérite à elle seule le déplacement au Mac Val (si ce n’est le nouvel accrochage permanent : En attendant demain est celle de Frédéric Nauczyciel. Si l’on a souvent comparé la scène traditionnelle de la danse à un cube dont le 4° côté se trouve exclu, ici la projection extérieure à l’espace investi déroule un long cheminement pour une entrée en voiture dans l’espace de la ville de Baltimore.
Historiquement le mouvement du voguing approché par l’artiste est né à New York , il y a plus de trente ans dans les ghettos noirs. Ce lent travelling avant inscrit en latitude et longitude ce long voyage de formes toujours incarnées mais qui ont sauté une ou plusieurs générations depuis les pionniers souvent disparus.
Sur les deux autres murs extérieurs de l’espace investi quatre tirages photographiques arrêtent en studio une de ces poses que l’on dit inspirées des mannequins qui faisaient la couverture de Vogue. Si ces portraits en action exaucent une pose dans sa magnificence outrée le coeur de l’installation vidéo propose une fragmentation des scènes qui joue des pans coupés à l’intersection de deux cimaises. La circulation de ces projections d’un angle à l’autre, d’un mur à son opposé, incite le spectateur à se mouvoir, à trouver son espace de perception.
Le mur central reste l’espace où se documente et s’historicise la construction narrative. Le repiquage télévisuel de la déclaration du président Obama sur la mort de Ben Laden s’y trouve encadrée par deux portraits frontaux de vogueurs. L’interview du premier est contrebalancée par le lent démaquillage du second (Francesca : Where did all the fun go ?)
Chacune de ces séquences – défilé, entretien, représentation- tournée avec un Iphone voit sa qualité intrinsèque , exacerbée par l’agrandissement, dans un partage d’intimité exposée. Le passage chorégraphié d’une séquence à l’autre nous incite à relire la mise en place de l’incarnation de ces clichés en nouvelles scènes d’identités.