Sous le signe du serpent CHAISSAC & CoBrA

Le musée Soulages de Rodez présente les oeuvres de cet artiste dans une architecture majestueuse où une salle accueille des artistes contemporains de ce maître de l’abstraction. Son directeur, Benoît Decron, qui a dirigé auparavant le Musée Saint-Croix des Sables d’Olonne où la famille de Gaston Chaissac a déposé ses oeuvres, a concocté une rencontre inédite, celle de Chaissac et de CoBrA, en s’associant avec Angelika Affentranger-Kirchtrach du KMDH – le Kunstmuseum de La Haye.

Les destins croisés d’un artiste solitaire et singulier, Gaston Chaissac (1910 – 1964), et des artistes du groupe éphémère CoBrA (1948-1951) donnent lieu à une exposition gaie et tonique où l’on peut découvrir et comparer leurs productions diverses : peintures, totems, collages, céramiques et assemblages d’objets trouvés où se manifeste une explosion continuelle de liberté.

Après avoir rencontré lors d’un séjour à Paris en 1937 l’artiste allemand Otto Freundlich qui l’a encouragé, Gaston Chaissac s’est mis à produire inlassablement des dessins, des peintures, des collages… C’est en même temps un écrivain prolifique : il écrit des poèmes, des contes, des fables et il envoie des lettres drolatiques à de nombreux destinataires en épistolier furieux. Le Musée Sainte-Croix des Sables d’Olonne a publié des extraits de cette savoureuse correspondance.

Se sentant profondément artiste, Chaissac n’a rien d’un “artiste brut” : cet autodidacte se revendique comme artiste et il s’intéresse au monde de l’art auquel il voudrait bien appartenir, il aime comme les artistes CoBrA la peinture de Picasso. Son devenir artiste et son engagement culturel le situe radicalement hors du champ de l’Art Brut. Il refusait qu’on lui accole cette appellation et il se définissait comme un “peintre rustique moderne”. Bien qu’il entretienne avec Dubuffet une amitié constante dont témoigne leur correspondance, il n’a jamais voulu appartenir à l’Art Brut, même s’il a été présenté au début de la Compagnie de l’Art Brut dans l’exposition L’Art Brut préféré aux arts culturels en 1949.

Par contre, cette exposition tend à montrer combien il aurait pu s’intègrer dans un mouvement artistique : celui des artistes CoBrA qui l’ont apprécié et même publié dans leur revue Cobra (n° 6) ainsi que Jean Dubuffet. Chaissac est avant tout un peintre pour artiste : des artistes le reconnaissent pour l’un des leurs.

Parentés imaginaires

La confrontation de nombreuses productions de Gaston Chaissac avec celles d’artistes ayant appartenu au mouvement éphémère CoBrA – acronyme des villes dont proviennent les artistes Copenhague, Bruxelles, Amsterdam – révèle la concordance des pratiques et des temps, puisque leur mouvement naît à Paris en 1948, une époque très productive pour Chaissac. Il existe entre eux de nombreuses affinités plastiques : même usage bigarré des couleurs, même art incisif du trait, même simplicité des formes, parfois presque géométriques, même boulimie créative qui s’empare d’objets pour les transformer.

Des paniers d’osiers deviennent des masques pour Chaissac, qui a peint sur toute sorte de supports – des pierres, un balai, des portes, des marmites aplaties, des assiettes, etc. Idem pour Appel et les autres CoBrA. Les “bonshommes” facétieux de Chaissac s’accordent bien aux figures clownesques de Karel Appel ; le face à face des totems en bois peint qu’ils ont réalisés est édifiant, tant leur ressemblance manifeste une affinité élective entre les deux artistes. L’exposition témoigne dans son ensemble des nombreuses affinités formelles entre les créations de Gaston Chaissac et celles de Karel Appel, Alechinsky, Asger Jon, Constant, Corneille et d’autres artistes CoBrA. Elles participent d’un esprit commun, libre, spontané, irrévérencieux, qui se moque de toute injonction culturelle. Leurs expérimentations renouvellent toujours leurs productions en cherchant à innover et à surprendre, comme dans la Dérive dans le grenier (Appel).

Serpents et autres bestioles

L’exposition a été intitulée Sous le signe du serpent car la référence au serpent cobra s’était vite imposée pour devenir l’emblème du mouvement artistique éponyme. Leur revue se nommait COBRA. Alechinsky figure un serpent en forme de S. Et Gaston Chaissac, lui aussi, dessinait souvent des serpents. La plasticité de cet animal le rend aisé à dessiner et il le montre tantôt s’enroulant, tantôt ondoyant. Le serpent est un animal terrestre qui a été le support de symboles dans de nombreux mythes, depuis la Bible jusqu’à l’Inde et au Mexique, de la mythologie nordique à la mythologie celtique, à laquelle Chaissac s’était intéressé et où le serpent signifie les origines, les commencements de l’être. Quand il s’enroule, il figure une temporalité cyclique, et il peut être représenté avec une tête humaine. Des serpents dessinés par Chaissac ressemblent souvent à des serpentins burlesques. Il en a peint toute une série au début des années 50. Dans sa Composition au serpent (1951) quasi abstraite, la ligne ondulée d’un serpent sert de toit à l’ensemble.

D’autres animaux sont esquissés, chez les CoBra comme chez Gaston Chaissac : on peut voir dans l’exposition de nombreux oiseaux (Appel, Corneille, Anton Rooskens, Constant) un hibou (Asger Jon), un chien (Constant) un chat en bois (Appel) un canard (Chaissac) une chèvre, un éléphant de céramique (Appel) un cheval et des “animaux de rêve” (Appel) – bref toute une ménagerie bon enfant. Dans cette imagerie où l’humour intervient sans cesse, où l’artiste ne se prend au sérieux, l’art est toujours au rendez-vous.