Gilles Saussier poursuit son œuvre d’une grande exigence suite à son renoncement au seul photo-reportage. Devenu l’une des figures françaises de la fiction documentaire il s’exerce depuis la fin des années 1990 à mettre en crise la mémoire des images. Son dernier livre « Spolia » évoque « le ré-emploi des matériaux d’architecture et de sculpture pour de nouvelles constructions ». Visite de ce chantier artistique.
Les champs d’interrogation de ce livre sont multiples. Poursuivant sa recherche commencé avec Le tableau de chasse (2010) sur La colonne sans fin de Constantin Brancusi, Saussier analyse en images les conditions de sa production au coeur de l’arrière pays minier en Roumanie. Il en extrapole l fonctionnement symbolique pour le comparer à celui de la photographie analogique s’appuyant sur sa fin annoncée. Le livre traverse histoire et histoire de l’art moderne en un périple qui suit le cours du fleuve Jiu à la recherche de ruines de ces évènements historiques ayant agité le pays de la révolution industrielle jusqu’à l’effritement du bloc communiste.
Le cadre architectural de cette épopée du XXième siècle est posé en quelques plans généraux : vallée du Jiu, ateliers centraux de Petrosani, mine de Petrila. De nombreux gros plans couleurs cadrent des objets manufacturés ou les supports d’actes ayant permis de les produire. Ils constituent autant de ready made photographiques qui ouvrent le dialogue avec la sculpture moderne . Les ouvriers et mineurs de Petrila constituent un second corpus qui entre en résonance avec des archives reproduites en noir et blanc sur papier gris , support qui accueille aussi les textes. On y trouve divers acteurs idéologique comme ces « Paysans enregistrés par Bela Bartok » en 1907, un « Mineur soviétique à la une du Time Magazine » en 1935 ou ces « Manifestants » et cette autre « Foule » archives datant de 1962.
En dehors de cette alternance couleur/noir et blanc pour questionner la pratique photographique Gilles Saussier utilise aussi le négatif que l’on trouve d’abord sur la couverture reproduisant un plan de la Colonne sans fin, mais aussi des vues d’œuvres du sculpteur tells L’oiselet II (1929) ou La table du silence (1938).
Au centre de l’ouvrage quatre pages se déplient pour dresser l’inventaire écrit de l’atelier de Brancusi lors d sa disparition. En parallèle l’une des dernièers double page joue cette opposition couleur et négatif noir et blanc pour un hommage que le photographe rend au sculpteur dans son jardin aux Andelys à travers son Cercle de seigle pour Brancusi . la porté symbolique d’une telle performance de land art horticole incarne sa signature quant à son engagement historique et artistique.