Dans une chorégraphie de gestes et une théâtralisation millimétrée, des jeunes hommes se contorsionnent et flottent dans un espace qui paraît sans pesanteur ni gravité. Entreposées temporairement au sol, les toiles se tournent et se retournent, se déplacent à la guise du spectateur, tandis que les performeurs s’adaptent, se plient, se renversent, effectuent des rotations.
Tels des danseurs, ils offrent un spectacle vivant qui instaure, à l’instar du break en musique, un moment de pause : tous les éléments d’une chanson, des voix aux basses, à l’exception des percussions, disparaissent. Sans contexte ni horizon, les corps se font l’écho de cette vibration, comme un rythme sourd et profond qui déborde du cadre et invite au hors-champ, à une autre histoire du déplacement.
Car si le déplacement évoque une circulation dans l’espace scénique, il est également synonyme de changement, d’affectation, de délocalisation, de course, de chute, de déportation, d’errance, d’immigration. Soudain ces performeurs, s’empoignant nerveusement les uns les autres, se révèlent sous un autre regard. Les titres énigmatiques, proche d’un numéro de matricule, se réfèrent à une autre localisation, celle de l’adresse URL, qu’un spectateur curieux pourra identifier sur son moteur de recherche d’images. Alors le noir et blanc retourne à la couleur, la vignette google nous arrache de cet instant suspendu pour recouvrer la réalité pesante et menaçante de vies cherchant à survivre.
Semblables à des photographies, ces peintures appartiennent à un registre hyperréaliste, dont Matthieu Boucherit déplace une fois de plus la définition. Cette objectivation préalable ne conforte pas la neutralité des regards, mais fait de la réalité construite par la société, les médias et toutes ses industries de l’imaginaire, une matière première, dont il déplie les affres et révèle la vérité cachée. Si un intérêt constant se manifeste dans son travail à l’égard du contexte social, il ne s’agit pas pour l’artiste de produire une représentation qui doublerait le milieu dans lequel nous baignons, mais de pousser l’hyper digestibilité des images jusqu’à leur point de bascule.
Ainsi s’instaure un jeu de réversibilités : entre média, points de vue, histoires collectives et personnelles, réification et sublimation. Si son œuvre pose les conditions d’un drame contemporain, on rappellera que l’étymologie du drame renvoie à l’action. Aussi est-ce pour mieux tisser l’agir et le dire dans de nouvelles scènes politiques capables de briser les lois de la représentation que Matthieu Boucherit théâtralise. En se faisant dramaturge, il n’impose pas ses idées, il les met en scène, les donne au regard et laisse à chacun la possibilité de déstratifier les images ou de simplement les contempler.