La tactique, ou les tactiques, viennent après la nécessité, bien que certains artistes disent ne pas en avoir.
Il y a plusieurs sortes de tactiques dont des tactiques qui sont celles de l’élaboration de l’oeuvre telles la plupart des miennes et des tactiques qui sont des nécessités, pour survivre dans la jungle du milieu de l’art.
La dose, la proportion produite de ces tactiques change tout, qu’il y ait nécessités intérieures ou pas.
Lorsque le starter a été mis, il s’agit avant tout de s’orienter dans le monde de l’art, de se situer par rapport à ce qui s’y fait, et à ce qui se fait dans le panorama de l’art contemporain.
Après cette analyse, il est nécessaire d’avoir une tactique pour occuper une place particulière.
Mes tactiques ont toujours été différentes, car cherchant des résultats différents, elles ont été remises en cause, et seront remise en cause à chaque fois que le contexte change.
Je n’ai pas eu d’instruction religieuse. Ma famille était libertaire anarchiste, espérantiste, nudiste et anticléricale.
Mes premiers contacts avec la culture judéo-chrétienne furent en connexion avec mes premières approches artistiques, des images venues de l’histoire de l’art, où je me suis mise à observer ce qui était dit et montré des femmes à d’autres époques.
En même temps je pouvais observer dans mon époque ce qui était dit des femmes dans la publicité, dans les journaux et le cinéma, avec des yeux critiques, avec les yeux rebelles de mon adolescence, bien décidée à faire de l’art.
Dès le début, mon oeuvre a interrogé les pressions sociales, religieuses qui s’exercent sur le corps.
J’ai pointé comment il à été fait violence aux corps et en particulier au corps des femmes.
J’ai alors crée des séries d’oeuvres à partir des images représentant vierges, madones et saintes.
Ces images de femmes intégrées religieusement et montrées telles des modèles auxquelles je devais coller.
Je les ai utilisées avec une distance critique.
Tout en les investissant, en les enfilant comme on enfile les doigts dans un gant de marionnette, en leur faisant dire autre chose librement ou en grossissant les traits de leur dire.
En me les appropriant, et en essayant de les décoder, de démonter de limage pour en re-fabriquer dans un cadre profane, enfin en les utilisant pour ma propre construction intérieure et comme matériau pour construire mes oeuvres.
Travailler sur le corps et sur son corps, c’est mettre ensemble l’intime et le social.
Les luttes féministes ont porté au coeur des problèmes historiques l’évidence que le corps est politique.
Mon travail se fait à partir des archives de notre patrimoine passant ainsi du religieux au culturel. J’ai toujours construit mes oeuvres aux carrefours de deux histoires : mon histoire personnelle qui est mon roman personnel et une autre histoire, celle de l’art occidental ou non occidental.
J’ai d’abord travaillé d’une manière rebelle à l’encontre de ce qui m’entourait, dans un rapport critique à la société, mon oeuvre à toujours portée des décisions qui étaient celles aussi de ma vie de tous les jours et de mon militantisme pour certaines valeurs et projets de société.
Je suis d’une génération ou les femmes pour exister un peu, devraient se battre pour tout, la contraception, l’avortement, le droit à la jouissance, à la prise de parole, à l’égalité des chances dans le travail etc…
Mon oeuvre à commencé par la peinture, la sculpture, le dessin et très vite j’ai pris la décision d’utiliser mon corps comme matériau. Ma tactique était avant tout sociale, politique, féministe.
Agir dans la rue, aussi bien que dans mon atelier d’artiste, en faisant des photos pour ouvrir des fenêtres, pour passer des messages, et vouloir changer le monde de manière utopique.
Être artiste ne me dédouanait pas non plus de mon action de citoyenne dans ma vie courante auprès de ma voisine, des personnes rencontrées, de ma famille, de ma vie privée.
A cette époque il n’y avait pas de support pour les artistes et rien pour les jeunes, nous ne pensions ni à faire du fric, et ne passions pas notre temps à faire des budgets pour avoir des voyages, des résidences, il n’y en avait pas, peu de galerie ou très traditionnelles, particulièrement en province et on faisait du vieillisme au lieu du jeunisme.
A partir de ma passion, ce qui comptait : c’était défendre des idées, se situer dans la société, et combattre l’injustice, les discriminations, les stéréotypes, ce que j’ai fait entre autre avec « Le baiser de l’artiste », qui illustrait un texte « Face à une société de mères et de marchands » et que j’ai crée pendant la Fiac 1977. et peu de temps avant au Portugal
Les temps ont changé, il est inutile de se battre contre le marché, cette oeuvre à été achetée par la collection du Frac et c’est très bien récupérée de son vivant plutôt que morte maintenant, cette oeuvre tourne en ce moment aux Etats-unis jusqu’en 2010.
Les choses ont tellement changées que lorsqu’en 1990, j’ai organisé des performances chirurgicales (de 1990 à 1993), elles ont été prises comme une tactique pour se faire remarquer par les médias, cependant que cette oeuvre à été décidée avant tout pour me battre contre les standards de beauté imposés par l’idéologie dominante et pour placer de la figure sur mon visage, c’est à dire, de la représentation pour créer de nouvelles images à partir de la nouvelle image que je me suis créée, et oeuvrer ensuite avec d’autres référents, pris dans la culture non occidentale car avant ces performances chirurgicales, j’ai interrogé uniquement l’histoire de l’art occidentale et la culture chrétienne.
J’ai écrit un manifeste, le manifeste de l’art charnel, pour me démarquer du body art, de l’endurance et de la douleur.
Enfin… tout dernièrement, je viens de travailler 4 mois et demi en Australie, dans une université d’anatomie et de biologie, invitée par le groupe Symbiotica, pour créer à partir de mes cellules, cultivées et hybridées, une installation où , le très fragile vivant, côtoient des vidéos représentant le vivant et la mort. C’est une oeuvre très cher que j’ai pratiquement entièrement payée. C’est une oeuvre très difficilement montrable, car les cellules sont sans immunités. Cette pièce reste invendable, puisque mes propres cellules ne m’appartiennent plus, lorsqu’elles sont à l’extérieur de mon corps.
Ce qui est assez cocasse pour moi, qui ait vendu mes baisers, mon corps en petits morceaux, ma chair dans mes reliquaires, une telle oeuvre me permet de me sentir libre, de gérer mon imaginaire entre art et science, en allant puiser dans cet ailleurs sans la pression du formatage ambiant et du poids du marché, de l’argent, qui est de plus en plus grand.
J’aime que mes oeuvres soient vendues ce qui me permet de pouvoir continuer à en créer, à en produire, comme celle-ci mais je ne veux pas être une marchandise.
Je n’ai jamais fait une oeuvre cyniquement tactiquement pour vendre.
Mes tactiques sont l’entêtement, la durée, la cohérence, avec le moins de compromission possible, mais il y a toujours quelques aménagements, quelques arrangements, avec le monde de l’art, sans quoi mon éternel rébellion et le contrepoint que j’essaie de poster dans le monde de l’art serait suicidaire.
Mes tactiques sont plutôt : des attitudes, des postures.
ORLAN