Tentative d’épuisement d’une mémoire aléatoire des images

Précieux petit ouvrage que celui qui réunit ces Lettres à une galeriste, à elle adressées par le photographe Stanislas Amand. Hésitant entre journal de travail et atlas intime, reprenant des mises en page héritées des pratiques amateurs, il joue de nos familiarités avec de multiples images que nous côtoyons depuis les années 70 sans toujours nous y arrêter.

Initiés par des échanges épistolaires réels, les textes ici publiés sont sans destinataire identifiée, sinon par une profession importante pour les artistes. C’est donc tout naturellement, dans cette relation privilégiée prétendue, que l’auteur met en place une économie de ses protocoles de travail, de ses supports préférés, pellicules argentiques ou polaroïd, mais aussi de ses archives et après Malraux de son « musée imaginaire ».

Aujourd’hui que dans les écoles d’art les mémoires universitaires et leur formatage se substituent au légitime journal de travail le petit livre de Stanislas Amand co-publié par l’Ecole Normale Supérieure de Lyon et les éditions Images en Manœuvre de Marseille nous apparaît d’une grande fraîcheur et d’une réelle intelligence pour l’approche d’un projet contemporain concernant les images tant vernaculaire qu’artistiques.

Si les images « ustensilaires » comme les nommait Bernard Lamarche-Vadel sont présentées dans l’éclat de leurs couleurs d’époque, bien que recadrées, un certain nombre de reproductions de tableaux , icônes de l’histoire de l’art, n’ont droit qu’à leur négatif noir et blanc, mais dans leur intégralité. Différence de statut icônique oblige.

Un tel livre reconnaît ce qu’il doit à Jean-Luc Godard, autant qu’à l’Atlas de Gehrard Richter. Il constitue une version actuelle et plus sexy du Mnémosyne de Warburg. Au delà de ces références, il n’est pas dépourvu d’un certain humour qui se résume dans l’inversion d’une même image en première et quatrième de couverture. Du vocable mots tracé sur le bitume, son retournement nous laisse lire la méthode de l’artiste, dans sa version slow. En effet face à une esthétique généralisée du zapping, du flux iconique, ce livre nous incite à prendre notre temps dans l’approche de nos images intimes, générationnelles ou partagées par tous.

Pour ralentir encore nos lectures savourées, des légendes disjonctées de leur image native, suscitent notre imaginaire dans leur dimension poétique. Par sa tentative de se maintenir au plus près de la matière des images, comme d’en approcher par des instances de nomination diverses une impossible globalité Stanislas Amand retrouve une énergie que nous n’avions pas retrouvé depuis les initiatives mémorielles de Georges Perec. Dans la continuité de son premier livre Prose optique, le photographe poursuit la mise en place avec brio d’une tentative d’épuisement d’une mémoire aléatoire des images.