Sur la couverture du livre de Stéphane Charpentier l’Eclipse est en négatif comme si elle avait tatoué les pupilles de tout un peuple, celui qui survit en Grèce. Le titre en anglais laisse entendre que ce pays s’il fut l’un des premiers n’est qu’un sinistre modèle prêt à s’appliquer dans toute l’Europe. Scénographié et mis en page avec Céline Pévrier pour les éditions Sun/Sun l’ouvrage regroupe toute la production du photographe sur ce pays pendant la dernière décennie.
Le livre est au format paysage sous une couverture en carton rigide , les photos y sont sombres , granuleuses et très contrastées. Ce sont des prises de vues majoritairement nocturnes réalisées en argentique. D’autres vers la fin de l’ouvrage se ressentent de l’atmosphère trouble, entre chien et loup, de l’heure dite bleue. Si ce n’est que toutes ces images sont produites en un noir et blanc expressionniste. On pense à l’école du Nord, Belgique et Hollande active dans les années 70/80 , il a d’ailleurs suivi des workshops avec Anders Petersen et Michael Ackerman et a été l’assistant de Jean-Christian Bourcart.
Stéphane Charpentier , qui est représenté par la galerie Françoise Besson, a donc résidé 10 ans en Grèce et son esthétique dramatisée semble traduire au mieux les différentes crises traversées par ce pays , qu’il regroupe sous l’action d’une éclipse générale prolongée sur une décennie. Quelques plans généraux de paysages naturels saturés de lumières sont en concurrence avec les espaces urbains raturés d’antennes. La mise en page qui rend le livre très actuel se veut d’une grande densité rendant une atmosphère étouffante. Les images reproduites plein cadre avec un petit liseré blanc ou noir selon les sujets sont réunies en cahiers avec juste une page blanche les séparant.
Dès la seconde double page du deuxième cahier un ensemble d’une vingtaine d’images de plus petit format renforcent ce sentiment de saturation autorisant la présence de quelques verticales et d’un panoramique.Plus évènementielles , elles sont aussi plus documentaires mais sans légende ni titre comme l’ensemble du portfolio. Les humains présents y sont inscrits dans un cadre urbain qui relève de la protestation, de la manifestation, d’une énergie collective. Des photos plein cadre prises au plus près des proches de l’auteur montrent une série d’individus en résistance individuelle.
Au troisième cahier ces êtres humains sont photographiés toujours de plus près , dans une dimension intime, plus chaleureuse, avec même quelques éclats de fête. Si le cahier suivant s’ouvre sur un feu gigantesque qui rappelle les incendies ayant ravagé la Grèce en 2021 une page de petites images semble structurée sur différentes formes de danses, où la vie continue de reprendre le dessus.
Les 5 ème et le 6 ème cahier semblent plus apaisés comme si l’Eclipse était prête de se terminer, avec des vues plus ouvertes sur la nature et l’espace, la dernière image verticale reproduite en page de gauche offre l’ouverture d’une route, avec un tracé central de lumière qui nous invite au voyage.
Deux cahiers de textes terminent ce livre en reprenant en anglais puis en français les traductions de courts enregistrements que Stéphane Charpentier a réalisé tout au long de son séjour avec des citoyens qui, s’ils restent anonymes, sont clairement de différents âges, de différentes extractions sociales.
Les textes reproduits en corps 10 sur 5 colonnes par page dans leur aspect même témoigne d’un sentiment partagé d’exaspération d’une société en totale crise. Toutes et tous l’incarnent, décrivant des situations promises à s’étendre à toute l’Europe. Cette double mise en page doit nous rappeler que l’auteur a aussi à son actif des créations sonores et des films photographiques faits d’images fixes et d’enregistrements de sons et de paroles.
Ce livre totalement incarné, dès lors que l’on se laisse entraîner dans le rythme haletant de sa mise en page , une fois refermé, ne nous laisse ni indifférent, ni intact.