The Small Utopia,

La fondation Prada a produit cet automne, sous la direction avisée de Germano Celant, une exposition autour du multiple. Le catalogue sous l’apparence trompeuse d’un énième coffee table book se trouve être une somme historique et pointue sur la question.

The small Utopia – Ars multiplica réunit de nombreux spécialistes de la question du multiple et couvre chronologiquement les enjeux critiques d’une forme qui fut pensée comme un outil révolutionnaire et qui, un siècle plus tard, termine sa course dans les vitrines des boutiques de musées. Germano Celant souligne, dés l’ouverture le destin tragique du multiple, de sa conception comme élément d’un changement industriel et social total, puis de sa réduction à une poche de résistance au marché, une simple enclave de démocratisation expérimentale de l’objet d’art. Le multiple s’il ne permettait pas un changement de la société et un lien entre la pratique de l’art et la production industrielle, aurait pu permettre une approche plus large des productions artistiques. Mais même cette « petite utopie » ne résistera pas à l’évolution d’un marché qui néglige les spécificités des éditions pour en faire de vulgaires produits de consommation de luxe. Celant conclut avec lucidité : « It had shifted from an invitation to acquire knowledge, to an affordable substitute for an obsession with all things trendy and glamorous. »

Partant de ce constat, le livre déplie les différentes étapes d’une hyper-fétichisation programmée qui s’accompagne aussi d’une atrophie des fonctions sociales et critiques du multiple. Partant des avants-gardes russes et des engagements des constructivistes dans l’industrie, le livre s’attache aux incursions de Sonia Delaunay dans la confection textile, jusqu’aux entreprises de Vasarely et aux supermarchés ironiques des artistes pop.

En privilégiant une approche historiciste et chronologique, en couvrant les divers champs d’exercice du multiple (l’art mais aussi la mode, le design ou l’édition), le livre invite à une relecture du modernisme et de ses mécanismes. Il souligne que, si le musée finit par recueillir le multiple, celui-ci traverse d’abord des enjeux plus prosaïques. Il est moins le résultat d’une pensée d’intérieur que d’une confrontation avec l’industrie, la production et la diffusion.

Retrospectif, le travail de compilation mené par Germano Celant souligne que toute utopie, même petite, est le fruit d’une insatisfaction vis-à-vis du réel. Si l’histoire du multiple est une succession d’échec, chacun de ces échecs ne fait que rendre sa disponibilité au besoin d’une œuvre qui dépasserai le fétiche marchand du nom et de l’objet. Chacun de ces échecs augmente la nécessité d’une chose (objet, magazine, vêtement…) à la frontière entre l’artistique et le fonctionnel, qui, dépouillé de l’encombrant aura de l’art, puisse inflitrer le réel et agir à sa mesure, dans le champ du quotidien. The small utopia pose combien chaque multiple, avant d’être réduit à sa valeur marchande, possède d’abord une valeur d’usage, qui est sa première et principale qualité.