Le rire dans les arts visuels n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’il mérite. Et pourtant avec ses connotations jouissives et subversives, d’après Jean-Yves Jouannais, il coïncide avec la modernité et surtout avec le XXe siècle : « …Le rire serait en somme la forme parfaite, la réalisation idéale de la modernité, confirmant l’intuition de Baudelaire selon laquelle l’esthétique moderne de l’émotion transmise devient une psychologie, et même suivant la formule de Nietzsche, une physiologie des nerfs, du souffle, des muscles que l’hilarité met à contribution.1 »
Or en élaborant le thème de Backlight 2008 (d’ailleurs le titre « Tickle attack » est une véritable trouvaille) les organisateurs finlandais, italiens, autrichiens et polonais ont voulu, dans un esprit post-moderniste, jouer sur la complicité du regardeur dans l’expérience esthétique. Si l’effet comique vient d’un décalage entre la perception d’une apparence, dans le rire issu du chatouillement, l’effet de surprise devient ambigu en se situant entre souffrance et jouissance. Ces dimensions psychologiques de l’interaction dans ce geste permettent métaphoriquement de re-considérer nos visions du monde à travers les représentations décalées que ces soixante artistes internationaux ont présentées lors de cette édition de la Triennale. Le jury de sélection a très bien évité de tomber dans le piège des clichés faciles du clownesque en élargissant la palette des sous-thèmes allant de l’idiotie à la dérision en passant par l’humour sous toutes ses formes visuelles.
Les genres photographiques eux-mêmes sont détournés avec causticité comme dans la série des « Boat people » de Bettina Flitner ou les portraits vénitiens de Luce Moreau.
Avec « Venice Prom Time », Luce Moreau revisite le portrait classique en y introduisant un nouveau rapport au temps. Le « ça a été2 » barthien est compromis par le dynamisme des éclaboussures qui réactivent le statisme du genre.
Le jeu du corps en relation insolite au temps et à l’espace se manifeste de différentes manières dans les œuvres de Lilly Mc Elroy, Ivo Mayr, Gerda Lampalzer ou Franziska Klose.
Alors que Lilly Mc Elroy se prend en photo pendant qu’elle se jette dans les bras d’un homme, Ivo Mayr, en se servant de la palette numérique, imagine un monde en apesanteur où personnes âgées et enfants sont collés aux murs, à un mètre du sol, comme des héros anonymes de notre temps.
Du point de vue iconographique, ces œuvres se réfèrent, pour Mayr, à des artistes comme Denis Darzacq (voir sa série « Chute » réalisée avec des danseurs) et pour Mc Elroy et Lampalzer, aux actions photographiques et vidéographiques insolites d’Anna & Bernhard Blume et de Peter Land. De même, les mises en scènes de Franziska Klose sous le titre de « home sweet home » rappellent l’absurdité des situations et les dénonciations des rôles de la femme dans « Das Puppenhaus (1999) » de l’artiste suisse Chantal Michel.
D’autres mises en scènes comme celles des artistes Katerina Drkova &Daniela Matejkova pointent de façon amusante le rapport de l’art et de la vie par l’infiltration, voire l’appropriation d’œuvres dans le contexte de l’exposition ou de scènes cinématographiques comme c’est le cas dans la vie imaginée des jumelles Agata e Cloridia dans la série de Veronica Dell’Agostino.
L’aspect social et politique, dans la tradition de la photographie documentaire, est revu sous le regard critique humoristique de Reiner Riedler, qui, dans la série « Fake Holidays », dénonce le consumérisme de notre société de loisirs et de spectacles.
Dans le même esprit, les« Floating logos » de l’Américain Matt Siber décontextualisent les logos publicitaires en les réintégrant dans des paysages dépouillés, alors que Martin Kollar, dans sa série « European Parliament », documente, de façon très subtile et ironique, la perte de l’individu dans un environnement normé et codé .
L’ensemble de ces propositions, dont nous n’avons pu que présenter quelques exemples, montre l’actualité du thème et la panoplie des propositions internationales à travers plusieurs expositions qui circulent dans différents pays européens, jusqu’en été 2009.
Après « Critical Authenticity » (2002) et « Untouchable Things » (2005) , « Tickle Attack » (2008) semble constituer le troisième élément d’une trilogie sur la déconstruction de la représentation photographique qui conjugue, dans un esprit plus jouissif, les tensions et frictions d’un quotidien aux limites du réel et de la fiction.
1Jean-Yves Jouannais, L’idéotie-art, vie, politique-méthode, b.a.m-livres, Paris, 2003
2 Roland Barthes, La Chambre claire, Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980